Association Française des Professeurs de Chinois

POÉSIES DE
L'ÉPOQUE
DES THANG


    I.
1. Introduction
2. Antiquité
3. Pré Thang
4. Thang
    II.
1. Langue
2. Prosodie
3. Stylistique
4. Conclusion
    Poésies de
1. LI-TAÏ-PÉ,
2. THOU-FOU,
3. AUTRES,
4. AUTRES 2.

Poésies de l’époque des Thang

traduites du chinois et présentées
par le Marquis d'Hervey-Saint-Denys

Poésies de Du Fu

Thou-fouPromenade sur le lac Meï-peï Avec de jeunes seigneurs et de galantes jeunes filles...Le départ des soldats et des chars de guerre La pluie de printempsLe vieillard de Chao-lingLe recruteurOffert à Pa, lettré retiré du pays de OeyUne belle jeune femme Le village de Kiang La nouvelle mariéeLes huit immortels dans le vin Une nuit de loisir...Vers impromptus sur une peinture...Le fugitif Au coucher du soleil Au général Tsao-paA Tchao-fou...Le poète voit en songe son ami Li-taï-pé Le neuvième jour du neuvième mois...Devant les ruines d’un vieux palaisEn bateau, la veille du jour des aliments froids Chant d’automne

Thou-fou

Thou-fou, également connu sous le surnom de Tseu-meï, qui, s’il pouvait se traduire, signifierait à peu près fleur d’élégance, était né dans un village des environs de Siang-yang, ville du troisième ordre de la province de Hou-kouang, la seconde des années kaï-youan du règne de l’empereur Ming-hoang-ti, c’est-à-dire l’an 714 ou 715 de notre ère. Il avait une complexion robuste, bien que frêle en apparence, une taille élevée, des traits fins et délicats ; ses manières étaient élégantes, autant que son extérieur était distingué.

« Thou-fou, dit M. Abel Rémusat, dans ses Etudes biographiques [Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. II.], annonça d’heureuses dispositions dès sa jeunesse, et toutefois il n’obtint pas de succès dans ces concours littéraires qui ouvrent, à la Chine, la route des emplois et de la fortune. Son esprit, récalcitrant et tant soit peu inconstant, ne put se plier à cette règle inflexible que les institutions imposent à tous les lettrés sans exception. Il renonça donc aux grades et aux avantages qu’il eût pu en espérer pour son avancement, et son goût l’entraînant vers la poésie, il devint poète. »

Ce que dit M. Abel Rémusat du caractère capricieux et indépendant de Thou-fou me paraît tout à fait justifié par ce que nous savons de sa vie ; mais le célèbre orientaliste s’écarte un peu de la vérité historique quand il répète avec le Père Amiot que le poète chinois n’obtint aucun succès dans les concours littéraires. Il induirait en erreur le lecteur, s’il le préparait à voir en Thou-fou ce qu’on appellerait chez nous un poète de la nature, ayant abandonné l’étude pour n’écouter que ses seules inspirations.

Ce fut en effet à la suite d’un échec subi dans ses examens que Thou-fou se rendit à Tchang-ngan, où était la Cour, et où ses immenses succès comme poète lui firent oublier ceux qu’il avait brigués d’abord comme lettré ; mais cet examen dans lequel il avait échoué était celui des aspirants au grade de tsin-sse, titre que l’on assimile chez nous à celui de docteur, ce qui indique qu’il avait déjà pris les grades de bachelier (sieou-tsaï) et de licencié (kiu-jîn) [Ouèn siao thang hoa tchouàn (Galerie des hommes illustres) : Biographie de Thou-fou. Bibliothèque de M. Pauthier.]. Or, il est fort peu de Chinois, même des plus habiles, qui réussissent à obtenir le doctorat dès la première épreuve. Nombre d’entre eux n’y arrivent guère avant d’avoir des cheveux gris, et Thou-fou, lorsqu’il vint à Tchang-ngan, n’avait pas encore vingt-huit ans.

Si j’ai pu exposer avec quelque clarté, au commencement de ce volume, les idées des Chinois en matière poétique, et les principes mêmes qui régissent chez eux la versification, on jugera peut-être que ce détail, mentionné par Rémusat, n’est point sans quelque importance à rectifier ; c’est un trait caractéristique de la littérature chinoise que l’érudition n’y est pas moins indispensable au poète qu’à l’historien. Nul, s’il est illettré, ne saurait écrire avec distinction.

Quant aux fonctions élevées auxquelles de simples érudits ne pouvaient prétendre qu’en obtenant d’abord de hauts grades littéraires, elles étaient toutes accessibles à un homme de la réputation de Thou-fou, et nous le verrons, sous le règne de Sou-tsoung, investi de l’une des plus hautes dignités de l’Empire.

Il jouissait déjà d’une véritable célébrité, lorsque l’attention de l’empereur Hiouan-tsoung [Le même que Ming-hoang-ti. On le désigne indifféremment sous ces deux noms.] fut attirée sur trois petits poèmes descriptifs dus à son pinceau, et qui faisaient alors grand bruit. Hiouan-tsoung complimenta lui-même le poète, et lui conféra sur-le-champ un titre honorifique qui le faisait marcher de pair avec de très grands seigneurs. Bientôt après Thou-fou se vit promu à des fonctions d’un rang plus élevé encore ; elles lui donnaient la facilité de voir chaque jour le souverain et de s’entretenir familièrement avec lui. Ces fonctions, qui consistaient principalement à dresser la liste des personnes admises aux audiences impériales et à régler entre elles l’ordre des préséances, mirent le poète en rapport journalier avec toutes les illustrations de l’Empire.

Telle fut la faveur dont il jouit que l’empereur lui offrit le gouvernement d’une province ; tel était le charme de Tchang-ngan que Thou-fou le refusa.

Ami de Li-taï-pé, dont il avait la philosophie sans en avoir l’intempérance ; ami surtout de Tsin-tsan, poète moins célèbre, mais plus délicat ; fêté, recherché de tous, partageant ses heures entre l’étude et le plaisir, chantant les lacs et les montagnes, célébrant la jeunesse et le printemps, il atteignit insensiblement sa quarantième année, laissant, comme il le disait, partir les jours sans les compter.

Cependant ce fut toujours un séjour coûteux que celui de la capitale d’un grand empire, et les appointements du poète étaient, paraît-il, insuffisants pour ses besoins. Il adressa donc à l’empereur une requête en vers, dont il ne faudrait point prendre tous les termes au pied de la lettre, mais dont il n’est pas sans intérêt de connaître la rédaction :

« La littérature, disait-il, est le patrimoine de ceux de ma race ; je suis littérateur à la onzième génération. Depuis la septième année de mon âge, jusqu’à la quarantième où je suis entré, je n’ai fait autre chose qu’étudier, lire et composer. J’ai acquis quelque réputation, mais point de bien ; je suis dans la plus grande détresse. Quelques herbes salées avec un peu de riz sont toute ma nourriture ; tous mes vêtements consistent dans l’habit que j’ai sur le corps. Si Votre Majesté ne se hâte d’y mettre ordre, elle doit s’attendre au premier jour à entendre raconter que Thou-fou est mort de froid et de faim. Il ne tient qu’à elle de s’épargner ce triste récit, en me secourant si elle me croit utile à son service ; en me renvoyant, si je ne lui suis bon à rien [Mémoires concernant les Chinois, t. V, pp. 386-387]. »

Il serait difficile de ne point voir une hyperbole poétique dans ce dénuement si absolu, de la part d’un homme qui avait refusé de troquer contre le gouvernement d’une province les conditions d’existence qui lui étaient faites à la Cour. Toujours est-il que la requête fut très favorablement accueillie. Elle valut à Thou-fou une pension dont la première année lui fut délivrée d’avance ; mais de tels événements survinrent cette année même, que ce fut malheureusement pour lui la seule qu’il eût à toucher.

Un général tartare s’était révolté, avait battu les Impériaux et se posait lui-même comme prétendant à l’Empire. Hiouan-tsoung se retira dans une province inaccessible, et, fugitif de son côté, Thou-fou gagna les montagnes du Chen-si, tandis que les farouches Tartares faisaient brouter leurs chevaux dans ces beaux jardins de Tchang-ngan, dont il avait chanté tant de fois les allées coquettes et les parterres fleuris.

C’est à partir de cette phase de sa vie que j’ai fait surtout des emprunts aux œuvres de Thou-fou. Le Vieillard de Chao-ling, le Recruteur, Une Belle Jeune Femme, le Fugitif, offrent des tableaux de la société d’alors et des malheurs de l’Empire, qui m’ont paru présenter de l’intérêt, en dehors même de leur plus ou moins de mérite littéraire.

La rébellion ayant été vaincue, Sou-tsoung ayant succédé à son père qui avait abdiqué, Thou-fou revint à Tchang-ngan, où le nouveau souverain lui confia la charge la plus élevée qu’un sujet pût ambitionner. Il le fit censeur impérial [Voir n. 7 à la suite de la pièce de Thou-fou intitulée Chant d’automne, p. 242]. La Chine est peut-être le seul pays du monde où de semblables fonctions aient jamais existé ; fonctions d’autant plus dangereuses qu’elles sont prises au sérieux par ceux qui les remplissent. Toujours confiées aux lettrés les plus illustres, elles furent pour plusieurs d’entre eux l’occasion de sacrifier leur vie avec héroïsme ; elles attirèrent à Thou-fou un exil dans lequel il devait mourir.

Le poète s’était acquitté maintes fois des devoirs de sa charge en homme au-dessus de toute crainte, sans que l’empereur le trouvât mauvais. L’un des ministres d’Etat, San-kouan, ayant été cassé et disgracié, il prit hautement sa défense en termes énergiques, mais, il faut le reconnaître, assez peu mesurés. « Il est contre la bonne politique, dit-il à l’empereur, de disgracier un ministre pour de petites fautes. Si ceux qui vous servent sont toujours dans la crainte, vous ne serez environné que de flatteurs qui vous applaudiront jusque dans vos excès les plus criants. La faute dont San-kouan s’est rendu coupable envers vous n’étant pas de celles qui intéressent l’Etat, ne méritait de votre part qu’une réprimande. Vous l’avez cassé sans prendre conseil de personne ; de quel nom voulez-vous qu’on appelle cette façon d’agir ? Si on lui donne celui qui convient, on dira que c’est le caprice ou quelque passion indigne du maître de l’Empire [Mémoires concernant les Chinois, t. V p. 390]. » L’empereur s’offensa du ton de cette remontrance ; il nomma le censeur gouverneur d’une ville du Chen-si, ce qui équivalait naturellement à un ordre de quitter la Cour.

Thou-fou se rendit à son poste ; mais au jour fixé pour prendre publiquement possession de sa charge, quand tous les fonctionnaires furent assemblés, il se dépouilla des insignes qui le faisaient reconnaître pour ce qu’il était, les plaça sur une table, leur fit, en présence de tout le monde, une profonde révérence et s’éclipsa. Cette façon de s’excuser d’un emploi pour lequel on ne se sentait point propre avait été jadis en usage et, soit fierté dans sa disgrâce, soit qu’il eût soif de liberté, Thou-fou avait jugé à propos de s’en prévaloir.

Il s’enfuit vers le Sse-tchouen, parcourant les vallées et les montagnes, menant une vie vagabonde et bientôt misérable, durant laquelle il vécut souvent de fruits sauvages, qu’il préparait lui-même au foyer des bûcherons et des paysans. Comme l’hiver approchait et qu’il prévoyait le moment où des ressources plus sérieuses lui deviendraient nécessaires, il imagina de se rendre à la ville de Tching-tou, afin de vendre à quelques lettrés opulents des pièces de vers inédites. Il eut bientôt trouvé ce qu’il cherchait ; mais, dit le père Amiot, il trouva aussi ce qu’il ne cherchait pas. Il fut reconnu par le principal mandarin du district, lequel écrivit à la Cour, demandant s’il devait l’arrêter. Pour toute réponse, il reçut fin brevet qui nommait Thou-fou commissaire général des greniers du district, avec ordre de lui dire que l’empereur le placerait ailleurs quand il serait ennuyé du séjour de Tching-tou. Le mandarin fit ce qu’on lui ordonnait ; il profita du premier jour où le poète se montra dans la ville pour lui remettre son brevet, mais celui-ci ne voulait plus d’emploi qui gênât sa liberté le moins du monde. « Vous vous trompez, dit-il au mandarin ; ce n’est pas à moi que ce brevet s’adresse ; je ne suis pas votre homme ; faites vos effort pour le trouver. » Le mandarin eut beau dire, il ne put en tirer d’autre discours.

Se voyant reconnu à Tching-tou, le poète abandonna les environs de cette ville et s’enfonça plus avant dans le Sse-tchouen, où cette fois il fut découvert par le gouverneur militaire de la province, appelé Hien-vou, homme libéral et ami des lettres, qui lui offrit d’abord une hospitalité somptueuse, et qui écrivit à son tour à Tchang-ngan, sollicitant pour son hôte la nomination de conseiller du ministère des ouvrages publics. De grands travaux de restauration allaient s’exécuter dans tous les monuments de la province, et il ne connaissait, écrivait-il, nul homme plus capable que Thou-fou d’y présider. La nomination ne se fit point attendre. Dès lors, investi de fonctions qui ne contrariaient en rien ses goûts, lié d’une amitié vive avec son protecteur, le poète chinois reprit cette vie de plaisir qu’il avait su sacrifier à son franc-parler, mais qui n’en était pas moins le fond de son ambition.

Cet état de choses dura six années, au bout desquelles le gouverneur étant mort et de grands troubles ayant éclaté de nouveau dans la province, le poète reprit sa vie errante, n’ayant plus, toutefois, à redouter la misère, car un testament de Hien-vou l’en avait mis à l’abri.

Il se fixa durant quelque temps près de Koueï-tcheou, à l’extrême frontière du Sse-tchouen, où il écrivit la pièce intitulée Chant d’automne, par laquelle j’ai terminé l’extrait que je donne de ses poésies. Il avait quitté Tchang-ngan à quarante-six ans ; il en avait alors cinquante-cinq. Si son exil était moins dur que ne fut celui d’Ovide, Thou-fou n’en tournait pas moins constamment ses regards vers Tchang-ngan, comme l’illustre exilé de Tomes avait tourné les siens vers la capitale du monde romain. Le même souci les dévora ; mais il est remarquable qu’on ne rencontre dans les derniers vers de Thou-fou, ni l’expression d’un regret pour l’action qui avait amené sa disgrâce, ni la moindre adulation servile, en vue d’effacer le passé.

Cur aliquid vidi ? cur conscia lumina feci ? s’écrie avec amertume le poète latin. « J’ai su remplir les devoirs de ma charge, dit Thou-fou ; je devais être récompensé. »

La neuvième des années ta-li, c’est-à-dire vers l’an 774 de notre ère, Thou-fou qui se trouvait alors à Loung-yang ; dans le Hou-kouang, voulut aller visiter les ruines d’un antique édifice, dont on attribuait la construction à l’un des plus anciens souverains de la Chine. S’étant hasardé seul dans une barque, sur un fleuve débordé, malgré toutes les représentations qui lui avaient été faites, il fut enveloppé par les grandes eaux et forcé de se réfugier dans un temple abandonné, au versant d’une montagne où, pendant dix jours entiers, il dut vivre uniquement des racines crues que lui fournissait le rocher. Le mandarin du lieu, ne le voyant point revenir, avait fait construire un radeau et s’était mis à sa recherche, aidé par de hardis bateliers ; il finit par le découvrir à demi mort de froid et de faim.

La joie qu’il eut d’avoir sauvé la vie à cet homme célèbre lui inspira la fatale idée de donner un grand festin à cette occasion. Thou-fou vint s’asseoir au milieu des conviés. L’abondance des mets et surtout le bon vin lui firent oublier que sa tête et son estomac étaient affaiblis par un long jeûne. Il mangea beaucoup, but davantage, et le lendemain on le trouva mort dans son lit. Il était âgé de cinquante neuf ans [Ouèn siao thang hoa tchouàn (Galerie des hommes illustres) : Biographie de Thou-fou. Bibliothèque de M. Pauthier].

Thou-fou est le seul poète que ses compatriotes mettent en parallèle avec Li-taï-pé. Si la majorité des lettrés ne lui accordent que la seconde place, il a cependant de nombreux partisans qui n’acceptent point ce jugement, et dont l’avis, je crois, sera partagé par le lecteur européen. C’est un sentiment auquel j’aurais cédé moi-même pour l’arrangement de ce recueil, si je n’avais cru devoir, en pareille matière, respecter l’ordre suivi par les éditeurs chinois.

Comme celles de son rival, les poésies de Thou-fou ne furent réunies et publiées en corps d’ouvrage que longtemps après sa mort. Les éditions qu’on en a faites sont innombrables et offrent parfois des variantes dont on ne peut s’étonner. Celle qui fut imprimée vers le milieu du XIe siècle, et qui est estimée, renferme quatorze cent cinq pièces, sans y comprendre les poésies que Thou-fou avaient composées durant ses courses dans le Sse-tchouen, lesquelles forment un volume supplémentaire.

n° 25.

Promenade sur le lac Meï-peï1

Tsin-tsan2 et son frère se plaisent à contempler les grands spectacles de la nature ;

Ils m’ont emmené pour faire avec eux une promenade sur le lac Meï-peï.

Le ciel était voilé, la terre était sombre ; un changement subit s’était opéré dans la lumière du jour ;

Le vent s’élevait, et les flots bouillonnants, qui scintillaient au loin, semblaient rouler des pierres précieuses.

Notre barque se détacha du rivage, et se mit à flotter sur le cristal mouvant.

La scène était imposante ; je me sentis inspiré, mais inspiré de pensées tristes qui s’accumulaient douloureusement.

Comment n’être pas ému quand le danger se montre si proche !

Ce vent perfide, ces vagues écumantes, devions-nous donc leur échapper !

Voilà maintenant que le patron fait déployer la voile de soie ;

Voilà que les bateliers se réjouissent, en voyant le dernier nuage s’évanouir ;

Les oiseaux aquatiques s’envolent tumultueusement, dès que la chanson des rameurs éclate ;

La corde et le roseau3 s’émeuvent ; leurs sons harmonieux semblent venir du ciel.

Le lotus étale ses fleurs pures, la châtaigne d’eau ses feuilles luisantes comme si la pluie les eût lavées.

Je cherche à sonder le lac, mais le fil que je lâche plonge toujours et ne s’arrête pas.

Mes yeux s’abaissent sur cet abîme sans fond ; d’un côté je le vois clair, vide, immense ;

De l’autre il m’apparaît sombre et terrible ; le Tchong-nân 4 s’y enfonce, plus loin que mon regard ne peut pénétrer.

Du côté du Midi, la montagne s’élève à pic au-dessus de la masse limpide,

Et son image réfléchie plonge, en tremblant, dans les eaux qu’elle assombrit.

Cependant le soleil se couche ; le bateau glisse, avec un léger bruit, devant la pagode aux pavillons qui percent les nues ;

Et bientôt se montre la lune, qui se mire à son tour dans le lac.

C’est alors que le dragon noir prend sa course, en vomissant des perles ;

C’est alors que le dieu du fleuve bat du tambour, et rassemble les monstres marins.

Les divinités du fleuve sortent de leur retraite pour danser sur la rive ; leur chant parvient jusqu’à nous ;

Et l’on aperçoit même un instant, dans le lointain, les houppes brillantes de leurs harmonieux instruments5.

Au moment d’atteindre le port, nous sommes encore attristés par le retour inattendu de l’orage,

Et je tombe dans une rêverie profonde, en songeant combien est impénétrable pour nous la volonté des esprits.

La jeunesse et l’âge mur, combien cela dure-t-il ? et contre la vieillesse, que pouvons-nous ?

Si je jette un regard en arrière, que d’alternatives passagères de joie et de chagrin !

1. Le lac Meï-peï est un des lacs situés dans le voisinage de Si-ngan-fou ; il est au sud-ouest de cette ancienne capitale de l’Empire chinois, au pied du mont Tchong-nân et dans une situation des plus pittoresques. Ses eaux étaient renommées pour leur limpidité et pour la beauté des poissons qu’on y pêchait. De nombreuses maisons de plaisance s’élevaient sur ses rives, où les promeneurs en partie de plaisir trouvaient aussi des auberges et des tavernes, avec salles de verdure, cabinets particuliers, et divertissements de toute sorte.

2. Poète, ami de Thou-fou, dont on trouvera deux pièces dans ce recueil.

3. Les instruments à corde et les instruments à vent ; le kin et la flûte, sans doute.

4. La montagne située sur le bord du lac.

5. Un commentateur croit devoir avertir que ces images ne sont que des fictions, empruntées aux croyances populaires ou au langage poétique. C’est un bateau qui produit l’illusion du dragon hoir ; les gouttes d’eau lancées par les rames scintillent au feu des lanternes, et semblent des perles brillantes. On voit courir d’autres bateaux, pressés de gagner le port, et l’on entend, dans le lointain, la musique qui se fait sur la rive, ce qui produit d’autres illusions. Les divinités du lac étaient deux princesses qui s’étaient noyées dans une rivière lui servant d’affluent. Certains instruments de musique, employés par les musiciens de l’empereur ou des grands, sont garnis d’ornements flottants, en plumes de diverses couleurs.

On voit que les fables mythologiques ont un grand air de famille dans tous les pays.

n° 26.

Avec de jeunes seigneurs1
et de galantes jeunes filles,
le poète va respirer la fraîcheur du soir

Au coucher du soleil, il fait bon monter en bateau et pousser au large ;

Un vent léger s’élève, qui fait onduler au loin la surface de l’eau.

Bientôt des bambous touffus invitent les promeneurs à s’arrêter sous leur feuillage2 ;

Les nénuphars, en cet endroit tranquille, embaument l’air de leurs fraîches senteurs.

Les jeunes seigneurs s’occupent à préparer des boissons glacées3,

Tandis que de belles filles lavent les racines savoureuses de la fleur qu’elles ont sous les yeux4.

Pour moi, j’aperçois un nuage sombre qui déjà plane au-dessus de nos têtes ;

La pluie va me fournir, sans doute, un sujet pour faire quelques vers.

1. Koung-tseu. C’est le titre qu’on donne par courtoisie aux fils des mandarins et des personnages de distinction.

2. C’est à l’ombre et dans les endroits les plus frais que le nénuphar développe le plus de parfum. Il n’a presque point d’odeur durant la chaleur du jour.

3. L’usage des glacières et des boissons glacées est très ancien et très répandu à la Chine. A Pé-king, durant les grandes chaleurs de l’été, l’empereur fait distribuer gratuitement de l’eau fraîche à tous ceux qui en demandent.

4. La racine du nénuphar offre une chair très blanche que les Chinois mangent comme un fruit. Ils ont soin seulement d’en extraire de longs filaments qui se retirent très facilement de cette racine dès qu’on la brise.

n° 27.

Le départ des soldats
et des chars de guerre1

Ling ling, les chars crient ; siao siao, les chevaux soufflent ;

Les soldats marchent, ayant aux reins l’arc et les flèches.

Les pères, les mères, les femmes, les enfants leur font la conduite, courant confusément au milieu des rangs ;

La poussière est si épaisse qu’ils arrivent jusqu’au pont de Hien-yang2 sans l’avoir aperçu ;

Ils s’attachent aux habits des hommes qui partent, comme pour les retenir, ils trépignent, ils pleurent ;

Le bruit de leurs plaintes et de leurs gémissements s’élève véritablement jusqu’à la région des nuages.

Les passants, qui se rangent sur les côtés de la route, interrogent les hommes en marche ;

Les hommes en marche n’ont qu’une réponse : Notre destinée est de marcher toujours.

Certains d’entre eux avaient quinze ans quand ils partirent pour la frontière du Nord ;

Maintenant qu’ils en ont quarante, ils vont camper à la frontière de l’Ouest.

Comme ils partaient, le chef du village enveloppa de gaze noire leur tête à peine adolescente3 ;

Ils sont revenus la tête blanchie, et ne sont revenus que pour repartir.

Insatiable dans ses pensées d’agrandissement,

L’empereur n’entend pas le cri de son peuple.

En vain des femmes courageuses ont saisi la bêche et conduisent la charrue ;

Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,

Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,

Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.

Bien qu’il se trouve des vieillards entre ceux qui interrogent,

Les soldats osent exprimer ce qu’ils ressentent, d’un ton violemment irrité4 ;

Ainsi donc, disent-ils, l’hiver n’apporte pas même un moment de trêve,

Et les collecteurs viendront encore pour réclamer ici l’impôt 5.

Mais cet impôt, de quoi donc pourrait-il sortir ?

N’en sommes-nous pas venus à tenir pour une calamité la naissance d’un fils,

Et à nous réjouir au contraire quand c’est une fille qui naît parmi nous ?

S’il vient une fille, on peut du moins trouver quelque voisin qui la prenne pour femme ;

Si c’est un fils, il faut qu’il meure et qu’il aille rejoindre les cent plantes6.

Prince, vous n’avez point vu les bords de la mer bleue7,

Où les os des morts blanchissent, sans être jamais recueillis,

Où les esprits des hommes récemment tués importunent de leurs plaintes ceux dont les corps ont depuis longtemps péri.

Le ciel est sombre, la pluie est froide, sur cette lugubre plage, et des voix gémissantes s’y élèvent de tout côté.

1. Cette pièce, de beaucoup antérieure à celle intitulée le Recruteur, que l’on trouvera plus loin, date d’une époque où l’empereur Ming-hoang était loin déjà de la période pacifique célébrée par Li-taï-pé, mais où, la rébellion n’ayant pas encore éclaté dans l’Empire, les seuls ennemis qu’il eut à combattre étaient ceux que son esprit de conquête allait chercher au-dehors. La sombre peinture esquissée par Thou-fou, en même temps qu’elle fait juger de l’état d’épuisement dans lequel la guerre civile dut trouver l’Empire quelques années plus tard, nous montre aussi la liberté de parler dont on usait alors, puisque le poète occupait une charge à la Cour quand il écrivit ceci.

2. Le pont de Hien-yang était un pont fortifié, situé à dix li (une lieue environ) de Tchang-ngan, sur la route que devaient suivre les troupes qui se mettaient en marche pour le pays des Tou-fan.

3. Une bande de gaze noire, roulée autour de la tête, était le signe distinctif des conscrits.

4. Cette expression puise sa force dans le profond respect que les Chinois ont toujours professé pour les vieillards. Il faut que le mécontentement soit bien grand pour qu’on n’en puisse contenir l’explosion devant eux.

5. C’était un antique usage à la Chine d’exempter d’impôts les familles de ceux qui partaient pour la guerre ; mais dans les derniers temps du règne de l’empereur Ming-hoang, cet usage ne fut pas respecté. (Note d’un commentateur chinois.)

6. L’expression rejoindre les cent plantes signifie périr prématurément et être enfoui sans sépulture dans la terre, comme les herbes que tranche et retourne la charrue, en traçant le sillon. (Note d’un commentateur chinois.)

7. C’est le lac Khou-khou-noor, près duquel se livrèrent d’interminables combats, entre les Chinois et les belliqueux Tou-fan (anciens Tibétains), qui repoussèrent toujours la conquête.

n° 28.

La pluie de printemps

Oh ! la bonne petite pluie qui sait si bien quand on a besoin d’elle !

Qui vient justement au printemps aider la vie nouvelle à se développer !

Elle a choisi la nuit, pour arriver doucement avec un vent propice ;

Elle a mouillé toutes choses, très finement et sans bruit.

Des nuages sombres planaient hier soir au-dessus du sentier qui mène à ma demeure ;

Les feux des barques du fleuve se montraient seuls dans l’obscurité comme des points lumineux.

Ce matin de fraîches couleurs éclatent au loin dans la campagne,

Et je vois, toutes chargées d’une humidité charmante, les belles fleurs dont les jardins impériaux sont brodés.

n° 29.

Le vieillard de Chao-ling

Le vieillard de Chao-ling, étouffant ses lamentations, pleurait1 ;

Au retour du printemps, caché sous des habits grossiers, il parcourait lentement les bords sinueux de la rivière Kio.

Hélas ! murmurait-il, elles sont fermées les mille portes du palais, qui se mire dans cette eau limpide2.

Les jeunes saules et les roseaux de l’année, pour qui verdiront-ils maintenant ?

Autrefois, dans ce jardin du Sud, on voyait flotter l’étendard du souverain ;

Tout ce que produit la nature s’y parait à l’envi de ses plus belles couleurs.

Là, résidait celle que l’amour du premier des hommes avait faite la première des femmes,

Celle qui prenait place sur le char impérial, aux promenades des beaux jours3.

Devant le char, se tenait la gracieuse escorte des jeunes filles armées d’arcs et de flèches4,

Montées sur des chevaux blancs qui piaffaient en rongeant leur frein d’or ;

Elles retournaient gaiement la tête, lançaient des flèches jusqu’aux nues,

Et riaient, et poussaient des cris joyeux, quand un oiseau tombait victime de leur adresse.

Où sont maintenant les prunelles brillantes, où sont les dents blanches de la favorite ?

Son âme, souillée de sang, a quitté son beau corps pour n’y plus revenir.

Peut-être les flots silencieux qui coulent vers l’Est ont-ils vu celui qui la pleure ;

Mais, du fond de ces défilés et de ces vallées, qui nous dira ce qu’il est devenu5 ?

De telles douleurs arrachent des larmes à tout homme dont le cœur n’est pas insensible.

Hélas ! le règne de ces jardins verdoyants et fleuris est-il donc fini pour toujours ?

Chaque soir, s’abattent sur la ville des nuages de poussière soulevés par les cavaliers tartares.

Tel est le trouble de mon esprit que je pensais aller au Sud et j’ai marché vers le Nord.

1. Chao-ling, nom de lieu qui signifie littéralement la petite colline, était l’endroit où demeurait Thou-fou. Il se désigne lui-même par cette expression le vieillard de Chao-ling, bien qu’il n’eût guère alors plus de quarante ans. Sans doute il y a là l’intention de laisser entendre que les malheurs publics, auxquels il assiste, l’ont vieilli avant l’âge ; mais d’autre part, ce sera peut-être ici l’occasion de placer cette remarque que l’arrivée de l’âge mûr et des chevaux blancs n’est point, dans les mœurs chinoises, une période que l’on cherche à dissimuler. L’absence de relations sociales entre les deux sexes, la polygamie, la profonde déférence pour les aînés, les privilèges de toute sorte dont les institutions entourent la vieillesse la font envisager à la Chine sous un tout autre point de vue que partout ailleurs.

2. C’était le palais de Tchao-yang, résidence impériale voisine de Tchang-ngan, dont il a déjà été question plus d’une fois dans ce recueil. Hiouan-tsoung venait de se retirer dans le Hou-kouang, abandonnant sa capitale à la rébellion victorieuse du Tartare Ngan-lo-chan. Thou-fou, du reste, ne tarda guère à s’éloigner lui-même de ces lieux désolés.

3. Il s’agit de la favorite Taï-tsun, à laquelle Li-taï-pé avait dédié les Strophes improvisées que j’ai données plus haut, et dont la fin tragique est racontée plus loin dans les notes de la pièce intitulée Ma-oey, par Li-chang-yn.

4. En temps de paix et dans leurs excursions de plaisir, les anciens empereurs de la Chine avaient une garde à cheval composée de jeunes filles, choisies parmi le personnel innombrable de leurs palais.

5. L’empereur, pour s’enfoncer dans l’ancien pays de Chou, dut passer par la ville de Han-tchoung et s’engager dans des défilés, en traversant le pont de Pen-kiao, jeté sur le fleuve Oey. Thou-fou ignorait ce qu’il était devenu depuis les événements de Ma-oey, auxquels il vient d’être fait allusion. Les deux derniers vers de cette strophe sont remplis de noms géographiques que je n’ai pas cru devoir faire entrer dans la version française, m’attachant plutôt ici à faire ressortir l’idée principale.

n° 30.

Le recruteur

Au coucher du soleil, j’allais cherchant un gîte dans le village de Che-kao1 ;

Un recruteur arrivait en même temps que moi, de ceux qui, pendant la nuit, saisissent les hommes.

Un vieillard l’aperçoit, franchit le mur et s’enfuit ;

Une vieille femme sort de la même demeure, et marche au-devant du recruteur.

Le recruteur crie --- avec quelle colère !

La femme se lamente --- avec quelle amertume !

Elle dit : Ecoutez la voix de celle qui est là devant vous,

J’avais trois fils, ils étaient tous trois au camp de l’empereur.

L’un d’entre eux m’a fait parvenir une lettre,

Les deux autres ont péri dans le même combat.

Celui qui vit encore ne saurait longtemps soustraire à la mort sa triste existence ;

Les deux autres, hélas ! leur sort est fixé pour toujours !

Dans notre misérable maison, il ne reste plus un seul homme,

Si ce n’est mon petit-fils que sa mère allaite encore.

Sa mère, elle ne s’est pas enfuie,

Parce qu’elle ne possède pas même les vêtements suffisants pour se montrer au-dehors.

Je suis bien vieille, mes forces sont bien amoindries ;

Pourtant je suis prête à vous suivre et à vous accompagner au camp ;

On pourra m’employer encore utilement au service de l’armée ;

Je saurai cuire le riz et préparer le repas du matin.

La nuit s’écoulait. Les paroles et les cris cessèrent ;

Mais j’entendis ensuite des pleurs et des gémissements étouffés.

Au point du jour je poursuivis ma route,

Ne laissant plus derrière moi que le vieillard désolé 2.

1. Le village de Che-kao était dans le Ho-nân, où Thou-fou se réfugia d’abord, quand il vit Tchang-ngan au pouvoir des Tartares. On était aux dernières années du règne de Hiouan-tsoung, alors retiré dans les montagnes du Hou-kouang, tandis que ses généraux s’efforçaient de reconquérir les provinces perdues.

2. Le commentateur chinois croit devoir compléter par une explication la conclusion laconique de cette terrible peinture. « Le vieillard était rentré dans sa maison, nous dit-il, quand il avait jugé que le recruteur devait s’être éloigné ; il se lamentait du départ de sa femme qui avait suivi ce recruteur. Si la vieille femme était partie, ce n’était point qu’elle eût le désir de se rendre au camp, mais elle craignait que le chercheur d’hommes, poussant plus avant ses investigations, ne découvrit la retraite du vieillard et ne s’emparât de lui. Elle feignait donc un grand zèle, et se sacrifiait pour sauver son vieil époux. Tels sont les maux de la guerre civile, telles sont les douloureuses séparations qu’elle entraine. »

n° 31.

Offert à Pa,
lettré retiré du pays de Oey

Les hommes passent leur vie isolés les uns des autres ;

Ils sont comme des étoiles qui se meuvent sans se rencontrer 1.

Le soir de ce jour, quel heureux soir est-ce donc,

Pour que la même lampe nous éclaire tous deux !

Combien peu durent l’adolescence et la jeunesse !

Déjà les cheveux de nos tempes indiquent le déclin de notre âge ;

Déjà la moitié de ceux que nous avons connus ne sont plus que des esprits.

Je suis pénétré d’une telle émotion que je me sens brûlé jusqu’au fond de l’âme.

Aurais-je pensé qu’après vingt années,

Je me retrouverais dans votre maison ?

Quand je vous quittai vous n’étiez point marié encore,

Et voilà que des garçons et des filles ont tout à coup surgi autour de vous.

Ils accueillent affectueusement le vieil ami du chef de la famille,

On lui demande de quel pays il arrive ;

Et, tandis que les questions et les réponses se succèdent,

Jeunes garçons et jeunes filles s’empressent d’apporter du vin.

Malgré la nuit et malgré la pluie, ils vont cueillir les légumes printaniers ;

Au riz nouvellement cuit ils ajoutent du millet jaune.

L’hôte ne se lasse point de répéter combien il est joyeux de cette rencontre inespérée ;

Et bientôt l’on a bu dix grandes tasses, sans s’en apercevoir.

Dix grandes tasses ont été bues. Cependant ma raison n’est point égarée ;

Mais je suis touché profondément de retrouver si vive notre vieille amitié.

Demain, il faudra mettre encore entre nous des montagnes aux cimes nuageuses,

Et, pour nous deux, l’avenir redeviendra la mer sans horizon.

1. En vue de garantir l’impartialité des fonctionnaires, en empêchant qu’ils aient le temps de se créer des relations et des intérêts privés au siège de leur administration, les institutions de la Chine veulent qu’ils ne demeurent jamais plus de trois ans dans la même résidence. Jusqu’à ce qu’ils se retirent, ou qu’ils obtiennent quelque charge étrangère à la carrière administrative, les lettrés qui exercent des emplois publics mènent donc continuellement une existence errante, analogue à celle de nos officiers en garnison.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 9.

n° 32.

Une belle jeune femme1

Il est une femme qui, par sa beauté, l’emporte sur les générations passées, comme sur la génération présente ;

Elle vit dans la solitude, au fond d’une vallée déserte.

Elle se dit : Je suis fille d’une maison illustre ;

Tombée dans le malheur, c’est aux lieux sauvages que je demande un asile.

De grands désastres ont ensanglanté ma patrie,

Mes frères aînés et mes frères cadets sont morts égorgés ;

Ils étaient grands, ils étaient puissants parmi les hommes,

Et je n’ai pas même pu recueillir leur chair et leurs os pour les ensevelir.

Les sentiments du siècle sont de fuir et de haïr tout ce qui tombe,

Se croire assuré de quelque chose, c’est compter sur la flamme d’une lampe qu’on promène au vent.

Mon époux n’a ni force ni grandeur ; il est comme les gens du siècle ;

Que sa nouvelle épouse soit belle comme le jade, et cela lui suffit.

L’oiseau youèn2 n’abandonne jamais sa compagne :

La fleur du soir3 est toujours fidèle à la nuit.

Mon époux ! Il a devant les yeux le sourire de sa nouvelle femme ;

Est-ce qu’il entendrait les pleurs de celle qu’il ne voit pas !

L’eau de source se maintient pure, tant qu’elle demeure dans la montagne ;

Mais qu’elle s’épanche au-dehors, elle perd bientôt sa limpidité.

J’envoie mes femmes vendre au loin les perles de ma parure,

Et ne m’adresse qu’aux plantes grimpantes, pour réparer ma maison de roseaux.

Mes femmes m’apportent des fleurs, je refuse d’en orner ma chevelure ;

Ce que je prends à pleines mains ce sont des branches de cyprès4.

Le ciel est froid. Les manches de ma robe bleue sont légères.

Quand le soleil se couche5, je cherche un abri sous les grands bambous.

1. Cette pièce fut écrite à la suite des guerres civiles qui déchirèrent l’Empire, et des sanglantes révolutions de palais qui en furent la conséquence, durant les dernières années du règne de Ming-hoang-ti. Une jeune femme appartenant à quelque grande famille proscrite, que son mari abandonne lâchement après la chute des siens, et qui supporte avec fierté le malheur, tel est, le sujet. Mais bien que le poète ait eu sans doute en vue quelque trait particulier de l’histoire contemporaine, les commentateurs demeurent muets à cet égard.

2. Voir n. 2, p. 149.

3. La belle-de-nuit.

4. Le cyprès est en Chine, comme chez nous, l’arbre des cimetières, le symbole du deuil et de l’affliction.

5. Allusion à la chute de l’empereur, qui parut imminente.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 10.

n° 33.

Le village de Kiang1

I

Les nuages forment à l’Occident des montagnes empourprées ;

Le soleil qui s’abaisse est près d’atteindre l’horizon,

A l’entrée d’un enclos rustique, les petits oiseaux emplissent l’air de leur bruyant caquetage ;

J’arrive enfin, comme un hôte, après avoir parcouru mille li2.

Ma femme et mes enfants sont frappés de stupeur à ma vue,

Et, revenus de la première surprise, ils essuient des larmes d’émotion.

Dans ce siècle de guerres civiles, quand la tourmente vous enlève et vous entraîne,

Se retrouver vivant après l’orage, c’est un hasard inespéré.

Curieux de me revoir, les habitants du village accourent en foule et couronnent les murs de l’enclos ;

Ils sont muets d’étonnement, ils poussent seulement de grands soupirs ;

On entretient la lampe, la nuit s’écoule en une longue veillée.

Les miens et moi, vis-à-vis les uns des autres, nous sommes comme des gens qui croient rêver.

II

C’est seulement au soir de l’année, que j’ai pu me soustraire aux affaires publiques ;

Je suis revenu dans ma famille goûter quelques instants de bonheur.

Mes jolis enfants ne veulent plus quitter mes genoux ;

Ils craignent que je ne leur échappe, et que je ne m’éloigne de nouveau.

Je me souviens des jours passés, où pour jouir de la fraîcheur de cet étang,

J’aimais à me coucher nonchalamment sous les grands arbres de ses rives.

Aujourd’hui le vent du Nord déchaîné souffle et mugit avec violence ;

Aujourd’hui les mille tracas de la vie consument mon cœur d’inquiétude et de chagrin.

Les grains cuits et le levain ont eu le temps de fermenter dans la cuve ;

Le parfum qui s’en exhale nous dit que la lie est maintenant séparée du vin.

Qu’on soutire donc, sans plus tarder, cette liqueur déjà puissante,

Et qu’elle me serve à tempérer les rigueurs de l’arrière-saison 3.

III

Les coqs et les poules font grand bruit dans la cour de ma maisonnette,

Leur trouble et leurs cris redoublés annoncent l’approche d’un visiteur.

On les chasse, ils se réfugient sur les arbres,

Et l’on entend de loin frapper à la porte de bois.

Ce sont les plus anciens du pays,

Qui viennent me questionner sur mes longs voyages.

Chacun d’eux me présente une tasse ;

L’un me verse du vin trouble, l’autre m’offre du vin limpide.

D’une voix triste : Ce vin est bien faible, disent-ils,

C’est qu’il n’est demeuré personne pour labourer les champs fertiles en grains.

Hélas ! on ne met point de terme aux désastres de la guerre ;

Tous nos enfants sont épuisés par l’armée d’Orient.

Vieillards, votre affliction me pénètre,

Et je veux, en retour de cette offrande, vous faire entendre un de mes chants.

... J’ai cessé de chanter. --- Les vieillards écoutaient encore,

Les regards tournés vers le ciel, la poitrine gonflée de soupirs, et de grosses larmes dans les yeux.

1. Dans la notice biographique que j’ai donnée plus haut de Thou-fou, j’ai dit qu’il était originaire du Hou-kouang. J’ai suivi en cela l’opinion adoptée par M. Abel Rémusat, d’accord avec deux ouvrages chinois qui se montrent tout à fait affirmatifs à cet égard, la Galerie des hommes illustres (Ouèn siao thang hoa tchouàn) et la Grande Géographie impériale (Taï-tsing-thoung-tchi). Cependant ce village de Kiang, dont le poète parle ici lui-même comme d’un lieu où demeure sa famille et qui lui rappelle tant de souvenirs, est situé dans la province du Chen-si, à 40 lieues environ au nord de Tchang-ngan, ainsi que nous l’apprennent les commentateurs. Etait-ce le pays de sa femme qu’il serait venu habiter tout jeune encore ? ou bien le père Amiot aurait-il eu raison en le faisant naître dans le Chen-si, et les auteurs chinois, qui lui donnent le Hou-kouang pour patrie, ont-ils voulu dire seulement que sa famille était originaire de ce pays ? Le fait n’est point assurément pour nous d’une grande importance à éclaircir ; il m’a paru toutefois qu’il devait être signalé.

Le Chen-si eut beaucoup à souffrir durant la lutte acharnée qui s’établit entre les lieutenants du fameux Ngan-lo-chan et les généraux chinois demeurés fidèles à l’empereur. Thou-fou qui s’était enfui de Tchang-ngan, quand cette ville était tombée au pouvoir des Tartares, s’était tenu caché jusqu’à ce qu’il eût appris l’avènement de Sou-tsoung et son retour dans sa capitale. Puis il avait été enlevé par un parti de rebelles, s’était échappé de leurs mains, et était enfin parvenu à rejoindre l’empereur qui l’avait élevé à la dignité de censeur. Bientôt après, il obtint un congé pour aller porter lui-même des secours à sa famille, ruinée par la guerre civile, et c’est le récit de son retour parmi les siens que nous donne la pièce intitulée le Village de Kiang.

Cette pièce, la seule, je crois, de ce recueil qui ne soit pas complètement inédite, a été traduite et donnée par M. Stanislas Julien, à la suite de son intéressante et curieuse traduction de fables indiennes : les Avadânas. L’estime que les commentateurs chinois font de cette composition de Thou-fou m’engageait à ne point l’omettre dans un extrait de ses œuvres, et il existe d’ailleurs quelques variantes entre le texte sur lequel a traduit le savant professeur du Collège de France et celui que je possède moi-même. Malgré la religion scrupuleuse des érudits de la Chine à respecter la pureté des textes, les versions de leurs poètes ne sont pas toujours parfaitement identiques, ce qui tient généralement à ce que les pièces ont circulé longtemps manuscrites, avant d’être réunies en corps d’ouvrage et livrées à l’impression.

2. J’ai eu l’occasion déjà de dire que le li était à peu près le dixième d’une ancienne lieue française ; mais les expressions parcourir mille li, venir de dix mille li sont des locutions usuelles qui signifient simplement parcourir une très longue route, venir de très loin.

3. Il est souvent question de vin dans ce recueil. Ici le poète remplit une strophe entière d’expressions véritablement insaisissables, si l’on n’est préalablement initié aux procédés en usage à la Chine, pour la fabrication des boissons fermentées. Peut-être est-ce l’occasion d’examiner, avec quelques détails, ce qu’il faut entendre par le mot vin, dans les textes chinois.

J’ai dit précédemment qu’il s’agissait le plus souvent d’une eau-de-vie de grain extrêmement forte, qui se boit chaude dans de très petites tasses ; mais si l’usage de cette liqueur est depuis longtemps, et aujourd’hui surtout, d’un usage presque exclusif, il ne parait pas moins constant que les Chinois ont aussi fabriqué du vin de raisin 125 ans avant l’ère chrétienne, sous le règne de Vou-ti, et de toute Antiquité, une sorte de bière de grain dont le père Cibot donne ainsi la recette :

« On prend, dit-il, vingt livres de mil rond mondé, qu’on lave à grande eau ; puis on verse cette eau par inclination et on en met de nouvelle, en assez grande quantité pour que le mil qu’elle doit surmonter d’environ un pied et demi y soit comme enseveli et submergé. On l’en retire ensuite avec une cuiller percée et on le fait cuire à la vapeur de l’eau bouillante, pendant une heure à peu près. Quand il est cuit on l’étend sur des claies pour le faire refroidir ; puis ayant réduit en poudre et passé au tamis de crin quatre livres de kiu-tsee (levain particulier fait avec de la farine de froment), on les mêle bien avec le mil cuit et refroidi, dans un baril défoncé ou dans un grand vase de terre vernissée. Ce mélange se fait en versant peu à peu de l’eau froide sur le grain, qu’on tourne et remue en tout sens, avec une spatule de bois. Comme la quantité d’eau que l’on verse décide du plus ou moins de force du vin, tout le monde ne suit pas la même règle. La plus générale cependant est de n’en mettre qu’autant qu’il en faut pour que le mélange se fasse bien et devienne comme une bouillie claire. On met un couvercle sur le vase pour le garantir de la poussière et faciliter la fermentation, qui s’établit d’ordinaire en dix ou douze jours. Quand elle est finie, le marc se précipite au fond du vase et la liqueur, qui s’est clarifiée, surnage totalement.

« Pour la conserver, quand on l’a soutirée, il ne s’agit plus que de la faire bouillir pendant une heure à un feu modéré, et d’ôter l’écume dont elle se couvre. L’usage est généralement de jeter dedans, quand on la fait cuire, ou des herbes choisies, ou des aromates, ou du miel, ou des fruits, soit verts, soit confits. De là viennent les noms de vin de coings, de cannelle, de cerises, etc. »

L’eau-de-vie se tirait de cette boisson même et se faisait aussi avec du riz et du froment. Depuis les premiers temps de la dynastie régnante, c’est-à-dire depuis 250 ans environ, on emploie également, pour la fabrication de cette liqueur, le sorgho dans les provinces du Nord, et une sorte de riz sauvage, appelé kang-mi, dans les provinces du Midi.

Le vin dont parle Thou-fou, dans la strophe à laquelle cette note se rapporte, me semble évidemment être la boisson qu’on obtenait par le procédé que décrit le père Cibot ; mais comme les Chinois emploient toujours le mot tsieou pour désigner indifféremment ces diverses sortes de breuvage, il est impossible, dans la plupart des cas, d’apprécier d’une manière exacte le sens particulier qu’il conviendrait d’assigner à cette expression, et l’on s’accorde à la traduire invariablement par le mot vin.

n° 34.

La nouvelle mariée

Il est des plantes dont la nature est de s’attacher à d’autres plantes ;

Il leur faut un appui pour se développer.

Elever une fille pour la marier à un soldat,

Mieux vaudrait, quand elle vient au monde, la jeter au bord d’un chemin.

J’ai lié mes cheveux pour nos fiançailles ;

Mais la natte du lit nuptial n’a pas même eu le temps de s’échauffer.

Au coucher du soleil, je devenais votre femme ;

Aux premières lueurs du jour, c’était déjà l’heure de nous séparer.

Bien que vous ne soyez point parti pour des régions lointaines,

La garde des frontières vous retient cependant loin de moi.

Nous nous sommes quittés avant même d’avoir accompli tous les rites du mariage ;

Comment oserai-je, sans rougir, me présenter devant vos parents1 ?

Au temps où j’étais encore chez mon père et ma mère,

J’avais soin, nuit et jour, de me dérober à tous les regards ;

Maintenant que j’ai quitté la demeure paternelle,

C’est aux yeux de tous que je devrais accomplir les devoirs de ma nouvelle condition2.

Vous êtes placé, chaque jour, entre la vie et la mort ;

Une angoisse profonde serre ma poitrine et mes entrailles.

Je m’étais promis de vous suivre, je voulais m’attacher à vos pas ;

Mais ma présence eût été, pour vous, un surcroît de trouble et d’inquiétude,

Gardez-vous de songer trop souvent à votre jeune épouse ;

Efforcez-vous de n’avoir d’autres pensées que celles d’un soldat.

Si votre femme était là-bas, au milieu de l’armée,

Je craindrais que votre courage n’en fût amoindri.

Pauvre fille que je suis, hélas !

J’avais mis un long temps à me tisser un vêtement de fine toile ;

Ce vêtement de fine toile, il ne couvrira point mes épaules ;

Je renonce à la parure comme aux brillantes couleurs du fard3.

Quand je lève les yeux, quand je considère les oiseaux dans l’espace,

Grands et petits, je les vois tous voler deux à deux ;

Mais les mœurs des hommes ne sont point celles des oiseaux de l’espace.

Qui sait, ô mon époux, quand nos regards pourront se rencontrer !

1. On sait que les Chinois attachent une grande importance à la rigoureuse observation de tous les rites. Ceux du mariage veulent que, dans les trois jours qui suivent sa célébration, la nouvelle mariée aille accomplir certaines cérémonies sur les tombeaux des ancêtres de son mari : alors seulement le mariage est considéré comme tout à fait régulier ; alors seulement elle peut saluer des noms de beau-père et de belle-mère les parents de celui qu’elle vient d’épouser.

2. Même observation qu’à la note précédente.

3. C’est un usage général en Chine, que toutes les femmes, même les plus jeunes, se fardent le visage et se peignent les sourcils.

n° 35.

Les huit immortels dans le vin1

Ho-tchi-tchang, sur un cheval, semble ramer sur un bateau ;

Un jour que l’ivresse troublait sa vue, il tomba au fond d’un puits, et s’y endormit plongé dans l’eau.

C’est quand Yu-yang a vidé trois urnes, qu’il va faire sa cour à l’empereur ;

La seule rencontre d’une charrette de grain rend à l’instant ses lèvres humides2.

Il voudrait bien être gouverneur dans le pays de la source du vin3.

En une journée, le ministre Li-ti-chy dépense joyeusement dix mille tsien4.

Il boit comme une longue baleine, il avalerait cent rivières ;

La tasse en main, il proclame qu’il aime le vin très pur, mais qu’il évite avec soin le vin douteux5.

Tsoung-tchi, dans sa jeunesse, était d’une beauté remarquable ;

Il regardait, en buvant, l’azur du ciel, et montrait le blanc de ses yeux ;

Ensuite on eût dit un grand arbre de jade, battu et incliné par le vent.

Sou-tsin, devant l’image de Bouddha, garde un jeûne des plus sévères ;

Mais quand il commence à boire, il oublie la doctrine et le couvent.

Sous l’influence d’une seule mesure de vin, Li-taï-pé produit aussitôt cent pièces de vers.

Un soir qu’il sommeillait à demi, au fond d’une taverne de Tchang-ngan,

L’empereur le fit appeler pour se promener avec lui en bateau. Li-taï-pé s’y refusa.

« Dites à l’empereur, répondit-il, que son sujet est un immortel dans le vin. »

Tchang-hio, dès qu’il a bu trois tasses, devient vraiment le dieu du pinceau6 ;

Il ôte fièrement son bonnet, sans se soucier des rois ni des princes7 ;

L’inspiration guidant sa main, les caractères descendent sur le papier, légers comme des nuages de fumée.

Il faut cinq grandes mesures à Tsiao-soui pour porter sa verve à son comble ;

Mais il devient alors d’une éloquence à jeter ses convives dans la stupeur.

1. Les huit personnages, qui se donnaient eux-mêmes ce titre, formaient une association analogue à celle qui fut connue chez nous sous le nom de Caveau. « Il y avait alors à la Cour, dit le père Amiot qui parle des Immortels dans le vin dans une notice sur Li-taï-pé, huit hommes de lettres qui se distinguaient des autres par leurs débauches de table ainsi que par leurs talents ; à leur tête étaient Ho-tchi-tchang et Li-taï-pé. Ils se réunissaient de temps en temps, se mettaient à table, buvaient et faisaient des vers. Comme leurs inclinations étaient à peu près les mêmes, ils prirent un nom en commun et se firent appeler tsieou tchoung pa hien (les huit immortels dans le vin) ; c’est comme nous dirions en français les huit sages de la bouteille. »

Ho-tchi-tchang, le président de cette réunion, était membre de l’Académie des Han-lin, c’est-à-dire parvenu au plus haut grade littéraire que puisse ambitionner un érudit.

Thou-fou vivait dans l’intimité de toute la bande, mais il n’était point lui-même assez buveur pour en faire partie.

2. Le grain sert, en Chine, à faire du vin ; voir plus haut n. 3, p.205.

Le prince de Yu-yang était un neveu de l’empereur, que son oncle traitait avec beaucoup d’indulgence.

3. Le pays de la source du vin était un district du Chen-si, auquel on avait donné ce surnom, dit un commentaire, à cause d’une source, sans doute minérale, dont la saveur était piquante comme celle du vin. Le jeu de mots est du reste le même en chinois qu’en français.

4. Le tsien est la dixième partie d’un leang (toutes les mesures chinoises sont décimales).

Le leang, qu’il a plu aux Européens d’appeler taël, est l’unité à laquelle tout se rapporte pour établir les comptes et la valeur des choses. C’est une once d’argent très fin d’un huitième plus forte que l’once de l’ancienne livre française. Elle pèse 9 gros, ancienne mesure, soit 34,41 grammes. Sa valeur, qui subit des variations suivant le taux du change, est en moyenne de 8 francs. Le tsien représente donc à peu près 80 centimes.

5. Cette phrase renferme un triple jeu de mots intraduisible, qui m’oblige à ne rendre que très imparfaitement le sens du texte. Les expressions ching et hien, auxquelles Thou-fou donne ici une extension plaisante dans sa langue, en les appliquant à deux qualités de vin, ne s’emploient d’ordinaire en chinois que pour marquer le superlatif et le comparatif de la perfection morale, de sorte qu’on approcherait du sens littéral si l’on disait en français : Il voulait du vin parfait et ne se contentait point de vin sage. D’autre part, les mots ching tsieou (vin parfait) s’entendaient également du vin limpide, et les mots hien tsieou (vin sage) du vin faible et mal clarifié.

6. Savoir tracer élégamment les caractères de l’écriture est, aux yeux des Chinois, un mérite précieux par lui-même. On sait que ces caractères se tracent avec un pinceau.

7. Les règles de la politesse chinoise prescrivent absolument le contraire de ce qu’on observe en Europe à l’égard du chapeau. Se découvrir devant quelqu’un, équivaut à ce que serait chez nous garder son chapeau sur sa tête.

n° 36.

Une nuit de loisir dans la maison de campagne d’un ami

Les feuilles bruissent agitées par le vent ; la jeune lune est déjà couchée ;

La rosée répand sa fraîcheur bienfaisante. Accordons nos luths1 au son pur.

Les ruisseaux se glissent dans l’ombre, caressant les fleurs de la rive.

Les constellations silencieuses étendent sur nos têtes un dais étoilé.

Voici venir l’inspiration. Les vers se pressent sous le pinceau du poète ;

Il craint que les flambeaux ne s’éteignent avant que le papier les ait reçus.

Chacun regarde sa large épée2, et la verve s’accroît encore ;

Les coupes se vident et se remplissent bien avant dans la nuit.

Enfin l’air du pays de Ou3 se fait entendre ; on chante ce qu’on a composé ;

Puis chacun regagne en bateau sa demeure, emportant un long souvenir.

1. Voir n. 2, p. 175.

2. Kien, épée courte et large à deux tranchants. Il n’est guère dans les mœurs des Chinois de marcher armés, et surtout de se rendre ainsi à des parties de plaisir. Il fallait des troubles comme ceux qui éclatèrent durant les dernières années du règne de Hiouan-tsoung, pour amener une telle dérogation à leurs pacifiques habitudes.

3. Les airs qui servent aux Chinois pour chanter leurs vers sont infiniment moins nombreux que ceux des chansons européennes. Ils sont presque tous antiques, et traditionnellement appropriés à tel ou tel genre de poésie, suivant la nature et le caractère des sentiments qu’on a voulu rendre. « L’air du pays de Ou, dit un commentaire, est doux et mélancolique ; il exprime bien la tristesse des amis qui vont se quitter. »

n° 37.

Vers impromptus
écrits sur une peinture de Ouang-tsaï

Quoi ! dix jours pour peindre une montagne !

Quoi ! cinq jours pour faire un rocher !

Eh ! oui ! Le véritable artiste n’aime point qu’on le presse et qu’on le tourmente.

Qu’importe le temps à Ouang-tsaï, pourvu que jamais un ouvrage ne sorte imparfait de ses mains !

Oh ! l’admirable vue du mont Kouèn-lun et du mont Fang-hou !

Comme elle ferait bien dans une grande salle, au milieu d’un mur tout uni !

Voici la ville de Pa-ling et le lac Thoung-ting qui déverse ses eaux dans la mer du Japon1,

Leur cours argenté s’éloigne à perte de vue, jusqu’à ce qu’il se fonde avec la ligne empourprée de l’horizon.

Des nuages traversent l’espace, semblables à des dragons volants.

Un homme est là, dans une barque ; c’est un pêcheur pressé d’atteindre cette baie qu’on aperçoit sur le rivage ;

Les torrents de la montagne me le disent, et ces flots écumants et ce vent furieux.

Le merveilleux travail ! Jamais on ne porta si loin la puissance de l’éloignement2.

Dix pouces de papier ont suffi pour enfermer mille lieues de pays !

Qui me donne de bons ciseaux, que j’en coupe vite un morceau ?

Je me contenterai du royaume de Ou, avec le territoire de Soung et la moitié du grand fleuve.

1. Le lac Thoung-ting, dans le Hou-kouang, est traversé par le grand Kiang, qui va se jeter dans la mer Bleue à laquelle les cartes chinoises donnent également les noms de mer d’Orient et quelquefois de mer du Japon.

2. L’opinion que les Chinois n’ont jamais connu les lois de la perspective est tellement arrêtée en Europe, qu’on hésite à employer ce mot à propos d’une peinture chinoise ; c’est pourquoi je m’en tiens ici à rendre littéralement l’expression youen-chi, puissance de l’éloignement, qui semble pourtant bien près d’en être synonyme.

Il ne saurait entrer dans le cadre de ce travail de décider jusqu’à quel point les images coloriées que le commerce importe peuvent servir de base pour fonder un jugement sérieux à cet égard ; ni d’examiner, si de la décadence actuelle de l’art en Chine on devrait non plus induire qu’il en fut toujours ainsi. Ce qui paraît incontestable, c’est qu’à une époque dont il reste des statuettes d’un véritable mérite, les Chinois payèrent certains tableaux de leurs peintres à des prix qui pourraient faire croire qu’il ne s’agissait pas d’œuvres vulgaires.

Voici ce qu’écrivait à ce sujet, au siècle dernier, l’un des missionnaires de Pé-king, le père Amiot ; lequel ne se montre point du reste, comme on le verra, trop enthousiaste de la peinture :

« Vouloir juger les peintures de la Chine par ce qu’on reçoit de Canton, autant vaudrait qu’un étranger fît la balance des peintres de l’Europe après avoir visité quelques boutiques d’imagiers et d’enlumineurs à Augsbourg. L’empereur, les grands et les amateurs ont ici des collections et des suites de tableaux des grands maîtres du pays, et les peintres célèbres ont été souvent honorés de la faveur et de l’estime publiques jusqu’à attirer sur eux de grands honneurs et de grandes distinctions. Dans les siècles passés, la manie des galeries et des collections était allée si loin qu’elle ruinait les familles les plus opulentes. Les amateurs ne croyaient pas pouvoir payer assez cher un tableau de certain maître ; il avait déjà perdu son plus bel éclat ou même avait été frappé de l’aile du temps qu’il fallait le couvrir d’or pour l’acheter. Il faisait partie d’un grand héritage ; on vendait même un héritage entier pour l’acquérir : l’avoir vu était un événement dans la vie et l’on venait d’un bout de l’Empire à l’autre pour s’en procurer la satisfaction. Cette manie, que les Youen avaient noyée dans des flots de larmes et de sang, se ralluma sous la dernière dynastie et aurait fait de grands ravages, si les catastrophes de la Cour et les crises presque continuelles des affaires publiques lui eussent permis de s’étendre. Il existe un ouvrage sur les peintres et les peintures d’alors où l’auteur se vante d’avoir parcouru, avec de très grandes fatigues et dépenses, toutes les grandes villes de l’Empire et vu, à quatre ou cinq tableaux près, tous ceux qui avaient quelque réputation. Grâce à la sagesse du gouvernement actuel, la passion de la peinture et des tableaux va en s’affaiblissant peu à peu. » (Mémoires concernant les Chinois, t. II, p. 436 et suiv.)

n° 38.

Le fugitif1

A l’heure où le soleil va se cacher à l’horizon derrière les mûriers et les ormes,

Je me mettais en marche, inondé de lumière par ses derniers rayons ;

J’allais, parcourant le tableau changeant des montagnes et des rivières,

Et tout à coup je me suis trouvé sous un autre ciel.

Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles :

Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !

Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,

Les jours de l’exilé s’allongent, et semblent ne plus s’écouler.

La ville à double enceinte2 est remplie de maisons fleuries,

Et, jusqu’au cœur de l’hiver, les arbres y conservent leur verte couleur.

Le mouvement y est incessant ; tout y révèle la cité fameuse,

Où, de toutes parts, les joueurs de flûte remplissent l’air de sons joyeux.

Elle est certainement belle la ville à double enceinte, mais je n’y ai pas un ami dont le toit soit mon refuge.

J’incline la tête ; je contemple vaguement la perfection du fleuve et de ses ponts.

Les oiseaux, quand le soir vient, retrouvent chacun leur tranquille retraite,

Et, pour moi, ce vaste empire n’est plus qu’un immense désert.

La lune naissante ne jette encore qu’une faible lumière 3,

Et de nombreuses étoiles rivalisent avec elle d’éclat.

Depuis les temps anciens, que de fugitifs comme moi ont parcouru la terre étrangère !

Ai-je bien le droit de me plaindre de mes malheurs ?

1. Cette pièce date de l’époque où Thou-fou commença ses courses dans le Sse-tchouen, après sa disgrâce. Il arrivait à Tching-tou, capitale de la province. (Voir notice biographique ci-dessus, p. 181.)

2. Les capitales de province ont une double enceinte fortifiée. Il s’agit de Tching-tou.

3. C’est une locution acquise au langage de la poésie chinoise que celle de la lune nouvelle, pour désigner un empereur dont l’avènement est encore récent et la puissance mal assurée. Les étoiles, qui rivalisent avec elle d’éclat, désignent les prétendants à l’Empire, les princes et les chefs puissants qui profitent de la faiblesse du nouveau souverain pour se soustraire à son autorité. Sou-tsoung était rentré en possession de sa capitale ; mais il s’en fallait encore de beaucoup que l’Empire fût entièrement pacifié.

n° 39.

Au coucher du soleil1

Le soleil pénètre sous les stores, en dardant ses rayons obliques,

Et, sur les bords de la rivière, s’accomplissent en silence les rudes travaux du printemps.

Tandis que les jardins du rivage embaument l’air des parfums que mille fleurs répandent,

Sur la barque flottante, on fait bouillir du riz pour le repas du soir.

Les passereaux, qui se disputent leur nourriture, s’ébattent bruyamment dans le feuillage.

Des insectes ailés bourdonnent çà et là dans l’espace ; ils ont envahi ma maison.

Vin généreux ! qui donc vous a donné tant de puissance ?

A chaque tasse que je verse, je sens mille chagrins s’évanouir !

1. Traduction d’un commentaire chinois :

« Les rayons obliques, qui pénétraient chez le poète, l’ont averti que le soleil était à son déclin. Il a levé ses stores et joui tout d’abord du spectacle d’une belle soirée de printemps. Mais à peine le soleil est-il couché qu’à ce tableau paisible succèdent, dans la nature, des scènes de désordre et de confusion. Ces oiseaux qui se battent, ces insectes importuns qui prennent bruyamment possession de sa demeure offrent à l’imagination de Thou-fou l’image de tous les maux de la guerre civile et la tristesse envahit son cœur. Il a recours au vin pour s’étourdir ; mais il se demande de qui le vin peut tenir un si énorme pouvoir. »

n° 40.

Au général Tsao-pa

Le général Tsao-pa compte l’empereur Vou-ti parmi ses ancêtres,

S’il est rentré dans la classe du peuple, il n’en est pas moins d’illustre maison1 ;

Et si les exploits de ses aïeux sont déjà d’un autre siècle,

La renommée qu’ils ont acquise ne saurait périr.

Il étudia d’abord l’art de tracer les caractères d’après les maîtres les plus célèbres,

Mais il se désolait de ne pouvoir surpasser le fameux Ouang-yeou 2.

Absorbé plus tard dans l’art de peindre, il ne sut pas même si la vieillesse approchait.

A ses yeux, les honneurs et les richesses ne furent jamais que des nuages passagers.

Durant la période kaï-youan3, le Fils du Ciel voulut souvent le voir,

Et les portes du palais s’ouvrirent plus d’une fois devant lui.

Les portraits des Serviteurs méritants4 conservaient à peine un reste de couleur ;

Le général, abaissant son pinceau, leur ouvrit un visage plein de vie.

De grands ministres se montrèrent de nouveau dans tout l’éclat de leur brillant costume ;

Des chefs terribles reparurent, la ceinture ornée de la grande flèche d’honneur5.

Quand le peintre eut retouché la barbe et les cheveux6 de ces guerriers illustres, il sembla qu’ils eussent retrouvé le mouvement ;

Ils avaient repris cet air martial que leur donnait jadis l’ivresse du combat.

L’empereur avait un cheval favori que l’on nommait Yu-hoa ;

Des artistes sans nombre accoururent pour le peindre : aucun d’entre eux ne sut le peindre ressemblant.

Alors Tsao-pa fut appelé au bas de l’estrade rouge7,

Et, dans le même moment, il y eut comme un ouragan qui s’avançait aussi.

C’était Yu-hoa qu’on amenait. Le général se plaça devant une toile blanche.

Il se recueillit profondément dans une attention silencieuse ; un grand travail s’opérait dans sa pensée ;

Puis, tout à coup, au milieu des neuf enceintes8, on vit surgir un véritable dragon9 ;

D’une seule fois, d’un seul jet, l’artiste avait fait évanouir dans le vide tous les chevaux vulgaires de ses innombrables prédécesseurs.

Deux êtres semblables se trouvaient dès lors en présence,

De telle sorte qu’on n’aurait su dire de quel côté se tenait le véritable Yu-hoa.

L’empereur, joyeux et souriant, pressait ses officiers d’apporter de l’or ;

Les écuyers et les intendants des écuries demeuraient confondus d’admiration.

Tsao-pa a fait un élève, il a formé le peintre Oey-kan,

Qui, lui aussi, excelle à peindre, dans le genre où son maître s’est illustré ;

Mais Oey-kan, qui rend la forme, est impuissant à transmettre la vie ;

Le souffle manque, le sang se fige, dans le corps de ses plus beaux chevaux.

Tsao-pa est un grand artiste ; Tsao-pa est donc un homme de génie.

Autrefois, les plus éminents personnages ont voulu tenir leur portrait de son merveilleux pinceau ;

Maintenant, on peut le voir errant au milieu des boucliers et des lances,

Retraçant parfois les traits du voyageur obscur qu’il a rencontré sur son chemin10.

Il tombe d’épuisement, au terme de sa longue carrière,

Et peut-être, dans le monde entier, n’est-il personne d’aussi pauvre que lui ;

Mais si l’on considère quel a été, depuis l’Antiquité, le sort de tous les hommes illustres,

On verra combien d’entre eux l’adversité et la misère n’ont cessé d’enlacer jusqu’à leur dernier jour.

1. Le général Tsao-pa était tombé en disgrâce, par suite d’intrigues politiques et de révolutions de palais dont il avait été victime, dit un commentateur chinois ; il s’était vu dépouillé de son grade et de ses distinctions.

Il existe en Chine dix-huit classes de gradés, dont l’ensemble comprend tous les degrés de la hiérarchie sociale, depuis le simple bachelier jusqu’aux ministres et aux vice-rois. Des privilèges nombreux leur sont accordés, et notamment l’exemption des peines corporelles. On fait partie de ces différentes classes à divers titres, soit qu’on appartienne à la corporation des lettrés et des fonctionnaires civils, soit qu’on occupe un grade dans l’armée, soit qu’on jouisse de quelque prérogative héréditaire. Rentrer dans la classe du peuple, c’est donc cesser de faire partie des classes privilégiées, à quelque titre que ce soit.

2. Calligraphe célèbre. --- Voir plus haut n. 6, p. 212.

3. De 713 à 724 de notre ère, c’est-à-dire sous le règne de Hiouan-tsoung.

4. C’étaient les portraits des ministres et des généraux qui s’étaient le plus illustrés au service des empereurs chinois. Ils étaient, dit une glose, au nombre de vingt-quatre et formaient une galerie particulière, dans le palais impérial.

5. La grande flèche empennée, ou grande flèche d’honneur, se portait passée dans la ceinture. C’était une décoration que l’empereur Taï-tsoung avait instituée pour récompenser ceux qui s’étaient distingués dans l’art de la guerre et dans les combats. (Commentaire chinois.)

6. L’usage de se raser la tête et de ne conserver qu’une longue mèche de cheveux est un usage d’origine tartare, dont l’introduction à la Chine ne date que de l’avènement de la dynastie actuellement régnante, c’est-à-dire de la première moitié du XVIIe siècle. Ce fut le fondateur de cette dynastie qui, pour dissimuler le petit nombre de ses Tartares rendus trop reconnaissables par un signe distinctif si apparent, ordonna que, sous peine de mort, les vaincus devraient adopter eux-mêmes la coiffure des vainqueurs. Les Chinois opposèrent d’abord une vive résistance. Un grand nombre d’entre eux aimèrent mieux se laisser tuer que de se soumettre à cette bizarre coutume, qui finit néanmoins par s’établir après de sanglantes exécutions. A l’époque des Thang, les Chinois étaient fort soigneux de leur chevelure.

Aujourd’hui, le premier soin des rebelles, qui massacrent les Tartares en proclamant la déchéance de la dynastie mandchoue, est de couper leur queue et de laisser croître tous leurs cheveux.

7. Les degrés de l’estrade où siège l’empereur sont peints en rouge.

8. Expression qui sert à désigner le palais impérial, lequel a neuf enceintes.

9. Expression qui désigne un beau cheval.

10. « La guerre civile continuait de désoler l’Empire, dit un commentateur ; on ne voyait partout que des boucliers et des lances. Est-ce que des soldats barbares pouvaient apprécier un pareil talent ? »

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 61.

n° 41.

A Tchao-fou
qui, prétextant une maladie, se retirait vers les régions de l’Orient 1

Tchao-fou, hochant la tête, maintient ferme sa volonté de partir ;

Il est prêt à se diriger vers la mer d’Orient, vers le pays des brumes et de la rosée.

Ses travaux, ses manuscrits, il y renonce et les abandonne ;

Il ne veut songer désormais qu’à jeter sa ligne au-dessus des arbres de corail2.

Il s’éloigne des dragons et des serpents, les maîtres des grands lacs et des montagnes profondes3 ;

La saison est froide et le ciel obscur, le temps lui paraît menaçant.

La déesse du Pong-laï4, qui déjà vient au-devant de lui, va bientôt, pour le guider, retourner son char de nuées.

A celui qui sait vider son cœur, elle montre la voie du retour5.

Le corps de votre seigneurie est devenu certainement le corps d’un immortel ;

Est-ce que les hommes du siècle pourraient pénétrer les motifs élevés qui vous font agir !

On eût désiré vous retenir à tout prix ; mais par quels moyens le retenir,

Celui qui fait le même cas des honneurs et des richesses que de la rosée fugitive dont les plantes se chargent un moment ?

Tsaï-heou, qui est un sage, et dont le cœur est excellent,

Nous a, par une nuit pure, réunis devant sa maison6 dans un repas d’adieu.

Les luths ont cessé de chanter ; la lune éclaire silencieusement la tristesse des convives.

Dans combien d’années, imitant Sse-tsoung, m’enverrez-vous une lettre du haut des airs7 ?

En attendant, si vous allez vers le Sud et si, visitant le tombeau de Yu, vous y rencontrez Li-taï-pé8,

Dites-lui que Thou-fou n’a point de ses nouvelles, et qu’il voudrait bien en recevoir.

1. Tchao-fou était un lettré de grand talent, qui jouissait en outre, comme conseiller, d’une réputation d’habileté justifiée par la décision même qu’il sut prendre, dans les circonstances auxquelles cette pièce fait allusion. Sou-tsoung était rentré depuis longtemps dans sa capitale ; cependant l’Empire semblait ne pouvoir sortir des convulsions de la guerre civile. Les révoltes et les trahisons se succédaient de tous côtés. Yong-ouang-lin, l’un de ces chefs rebelles dont la tête devait tomber plus tard, appelait Tchao-fou près de lui ; mais, dit naïvement un commentateur chinois, celui-ci, qui prévoyait le mauvais succès de l’entreprise, refusa de s’y associer. Il ne voulait point non plus se faire un ennemi dangereux ; il prétexta donc une maladie pour chercher un autre climat.

2. C’est-à-dire pêcher dans la mer.

3. Les dragons et les serpents sont des expressions habituelles à la langue chinoise, pour désigner des princes et des chefs puissants. Il s’agit ici des hauts personnages qui s’étaient soulevés contre l’empereur, et qui avaient tenté vainement d’entraîner Tchao-fou dans leur parti. La saison froide, le ciel obscur sont également des locutions du style figuré, comme, en français, le sol mouvant, l’horizon qui s’assombrit, etc.

4. Le texte porte littéralement : La femme qui tisse (la constellation que nous appelons la Lyre). C’est elle qui préside au mont Pong-laï, séjour des immortels. -Voir, plus haut, n. 2, p. 127.

5. Cette pensée remarquable du retour (hoeï) au séjour des immortels, pour ceux qui ont vidé leur cœur (hu sin) de toutes les passions terrestres, appartient à la doctrine du fameux Lao-tseu, qui lui a consacré un chapitre entier dans le livre de sa doctrine (tao te king).

6. Les maisons chinoises ont, à leur façade principale, une sorte de péristyle assez large, formant comme un premier salon ouvert, entouré seulement d’une balustrade à hauteur d’appui. On l’orne des plus belles fleurs, chez les personnages riches, et c’est là que les hommes se réunissent durant l’été pour causer ou boire ensemble, parfois fort avant dans la nuit.

7. Sse-tsoung était un poète qui, ayant obtenu l’immortalité et voyageant dans les nuages, laissa, du haut des airs, tomber une lettre aux pieds de l’un de ses anciens amis.

8. Le tombeau de Yu, ou du moins le rocher célèbre auquel on donne ce nom, est situé dans l’ancienne province de Hoeï-ki, où se trouvait alors Li-taï-pé, exilé de la Cour.

n° 42.

Le poète
voit en songe son ami Li-taï-pé1

Si c’est la mort qui nous sépare, je devrais rendre ma douleur muette ;

Si nous ne sommes séparés que par la distance, mon chagrin doit élever la voix.

Hélas ! le climat du Kiang-nan est le plus meurtrier des climats ;

Et mon ami est dans le Kiang-nan, et je suis sans nouvelles de lui.

Mon ami m’est apparu en songe,

Car nos esprits se cherchent constamment ;

Mais l’esprit qui m’a visité, était-ce l’esprit d’un homme vivant ?

La route de Kiang-nan est si longue que ce doute cruel ne peut, de longtemps, être éclairci.

L’ombre s’est avancée, au milieu d’un bois verdoyant ;

Puis je l’ai vu s’éloigner, et franchir de sombres barrières.

O mon ami ! m’écriai-je, vous qui étiez dans les liens,

Où donc avez-vous pris des ailes, pour voler aujourd’hui près de moi ?

Je m’éveillai. La lune inondait ma chambre de sa blanche lumière ;

Puis-je espérer qu’elle éclaire aussi celui dont je suis séparé !

Et, s’il a recouvré sa liberté, que de dangers le menacent encore !

Les barques sont si fragiles, les monstres marins si féroces et les flots si profonds !

1. On a pu voir dans la pièce précédente comment le lettré Tchao-fou éluda les ouvertures qui lui étaient faites par le chef rebelle Yong-ouang-lin. Li-taï-pé, plus coupable ou moins prudent, fut accusé d’avoir pris part à cette rébellion et jeté en prison. J’ai raconté plus haut dans sa biographie comment il en sortit. Ceci se passait la dernière année du règne de Sou-tsoung, c’est-à-dire en 762 de notre ère, alors que Thou-fou était déjà disgracié lui-même depuis longtemps.

Voir le texte chinois et la traduction anglaise de Bynner : Tangshi 11.

n° 43.

Le neuvième jour du neuvième mois,
en montant aux lieux élevés1

Le vent est vif, les nuages sont hauts, le singe pousse ses cris lamentables ;

Aux bords argentés de l’eau transparente, des oiseaux rasent le sable en tournoyant.

De tous côtés le bruissement des feuilles qui tombent,

Et devant soi les vagues enflées du grand fleuve, qui viennent, qui viennent, sans jamais s’épuiser.

Ne voir au loin que l’aspect désolé de l’automne, et se sentir étranger partout où l’on va ;

Etre usé par les années et les maladies, et monter seul aux lieux élevés.

Les tracas, le chagrin, la souffrance, ont depuis longtemps blanchi ma tête ;

La force aujourd’hui m’abandonne ; il faut ici que je m’arrête ; et pas même une tasse de vin généreux !

l. Les Chinois comptent par mois lunaires ; le système de leur calendrier ne permet donc point d’établir une correspondance fixe entre les jours de ce calendrier et ceux du nôtre. Dans un almanach anglo-chinois, publié à Canton, où l’on indique la concordance pour l’une de ces dernières années, le neuvième jour du neuvième mois du calendrier chinois correspond au 1er novembre, C’est un antique usage de monter ce jour-là sur le point le plus élevé du pays où l’on se trouve, pour considérer au loin l’aspect de l’automne dans la campagne,

Cette fête, empreinte d’un caractère de tristesse, contraste avec celle du printemps, qui se célèbre par des processions et des manifestations joyeuses,

n° 44.

Devant les ruines d’un vieux palais

Le ruisseau s’éloigne en bouillonnant, le vent mugit avec violence à travers les pins ;

Les rats gris s’enfuient à mon approche et vont se cacher sous les vieilles tuiles.

Aujourd’hui sait-on quel prince éleva jadis ce palais ?

Sait-on qui nous légua ces ruines, au pied d’une montagne abrupte ?

Sous forme de flammes bleuâtres, on y voit des esprits dans les profondeurs sombres1 ;

Et, sur la route défoncée, on entend des bruits qui ressemblent à des gémissements.

Ces dix mille voix de la nature ont un ensemble plein d’harmonie,

Et le spectacle de l’automne s’harmonise aussi avec ce triste tableau.

Le prince avait de belles jeunes filles ; elles ne sont plus que de la terre jaune,

Inerte comme l’éclat de leur teint2, qui déjà n’était que mensonge ;

Il avait des satellites pour accompagner son char doré,

Et, de tant de splendeurs passées, ce cheval de pierre est tout ce qui reste3.

Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse,

Je commence des chants où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.

Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,

Qui donc pourrait marcher longtemps !

1. Le sang des soldats tués engendre des feux d’esprits, dit le commentaire chinois. Ce sont exactement nos feux follets.

2. Le texte porte littéralement comme le blanc et le noir, et le commentaire ajoute : le blanc qui sert à farder le visage et le noir qui sert à peindre les sourcils.

3. Il s’agit d’une statue de cheval qui surmontait le tombeau du prince, situé près des ruines du vieux palais, dit le même commentaire. C’est du reste une coutume antique à la Chine, de placer des figures d’animaux et surtout de chevaux sur les tombeaux des grands personnages.

n° 45.

En bateau,
la veille du jour des aliments froids1

Cette journée de printemps est bien belle ; pourtant je ne puis, sans me faire violence, approcher la tasse2 de mes lèvres, et de plus on me sert un repas froid.

Courbé tristement sur mon banc, je couvre d’un bonnet fourré ma tête fatiguée ;

Le bateau qui me porte glisse avec calme sur les grandes eaux, entre des rives fleuries ;

Mais les yeux du vieillard, hélas ! ne voient plus les fleurs que dans un brouillard.

Deux papillons, se jouant et voletant, viennent de passer gaiement sous les rideaux qui m’abritent ;

De légers oiseaux rasent, en tournoyant, la surface des flots qu’ils explorent ;

Et moi, qui ai promené mes regards sur cet horizon profond de nuages blancs et de montagnes bleues,

Je les fixe douloureusement vers le nord, car c’est là qu’est Tchang-ngan !

1. Il s’agit d’un usage particulier à la province du Chan-si, que le poète traversait sans doute quand il écrivit ces vers.

Le jour où l’on ne mangeait que des aliments froids était le 105e après le solstice d’hiver, c’est-à-dire au commencement du mois d’avril. L’origine de cette coutume remontait à la tradition que voici, d’après une chronique chinoise :

Obligé de fuir devant une rébellion victorieuse, Ouên-Koung, de la dynastie des Tsin, qui vivait au IVe siècle de notre ère, s’était réfugié dans les montagnes du Chan-si, accompagné seulement de cinq serviteurs fidèles. Quand la fortune lui redevint prospère, il éleva quatre d’entre eux aux fonctions les plus éminentes. Le cinquième ne se montrait point ; il fut oublié. Plusieurs années s’étaient écoulées sans que l’empereur se souvint de Kaï-tseu, c’était son nom, lorsqu’un matin des mains inconnues fixèrent aux murs du palais, à l’heure de l’audience, une pancarte sur laquelle on lisait : « Un dragon, suivi de cinq serpents, alla jadis passer la mauvaise saison dans les montagnes. Au retour des beaux jours, on l’a vu reprendre son vol, enlevant avec lui quatre de ses compagnons ; mais on ignore ce qu’est devenu le cinquième. » Le souverain saisit le sens de cette remontrance ; il en fut vivement affecté, et, sur-le-champ, donna l’ordre de faire rechercher son ancien compagnon d’infortune, afin de réparer d’une manière éclatante le tort de l’avoir oublié trop longtemps. D’abord on eut grand-peine à découvrir ses traces, puis on sut positivement qu’il habitait une montagne retirée du Chan-si, menant cette existence contemplative si vantée par les sectateurs de Lao-tseu ; mais la montagne était profonde et boisée, pleine d’anfractuosités cachées ; toutes les explorations demeurèrent vaines. On dut annoncer à l’empereur qu’il était impossible de retrouver Kaï-tseu. Alors Ouên-koung imagina l’expédient désespéré de faire incendier la montagne, dans la pensée que le feu déterminerait à la retraite celui qu’il voulait à toute force récompenser. La flamme dévora donc les bois séculaires, mais la précaution qu’on avait prise d’allumer d’abord l’incendie sur les sommets les plus élevés, n’empêcha point la couronne incandescente de surprendre et de faire périr l’infortuné solitaire, car on la vit s’abaisser peu à peu jusqu’aux vallées sans que Kaï-tseu se montrât. La légende en fit un immortel qui préside à ces lieux sauvages, et pour honorer sa mémoire, en perpétuant le souvenir de cet événement, la coutume se transmit parmi les habitants du Chan-si d’éteindre tous les feux la veille de cet anniversaire, pour ne les rallumer que le surlendemain.

Un commentateur pense qu’en réveillant le souvenir de cette haute ingratitude et de ces tardifs regrets au premier vers d’une pièce qui se termine par un regard jeté sur Tchang-ngan, Thou-fou eut sans doute une arrière-pensée que ses malheurs personnels laisseront facilement deviner.

2. On sait que la tasse est, chez les Chinois, ce que la coupe fut chez les Romains et ce que le verre est chez nous, c’est-à-dire le vase pour boire du vin.

n° 46.

Chant d’automne

I

Les feuilles se détachent, flétries sous les cristaux de la gelée blanche ;

Un vent froid suit la vallée des Vou-chan1, soufflant et bruissant dans les arbres.

Rapides et agités, les flots toujours croissant du grand fleuve semblent vouloir monter jusqu’au ciel ;

Les nuages de la montagne s’unissent et se confondent avec les brumes de la prairie.

Aujourd’hui fleurissent les chrysanthèmes ; demain les dernières fleurs seront tombées.

Je suis comme un frêle bateau qu’une chaîne retient à la rive ; mes pensées reviennent seules vers mon pays.

De tout côté je vois tailler des habits chauds pour l’hiver qui s’approche ;

J’entends monter de la vallée le bruit des coups que frappent les laveuses, pressées d’accomplir leur tâche avant le rapide déclin du jour.

II

Du haut de cette forteresse isolée du Koueï-tcheou 2, à l’heure où le soleil a disparu de l’horizon,

Que de fois, les yeux guidés par les constellations du Nord3, j’ai tourné mes regards vers notre belle capitale !

Ayant le cœur serré par le cri déchirant des singes,

Et me consumant dans l’attente vaine d’un retour inespéré 4.

Autrefois, je fus en faveur, dans un palais orné de riches peintures ; on brûlait des parfums sur mon passage, et je couchais sur des coussins soyeux ;

Maintenant, derrière les créneaux blanchis d’une tour, dont les sentinelles poussent des sifflements sinistres5,

Je contemple, d’un œil distrait, la sauvage végétation des rochers que la lune éclaire,

Et plus bas, dans la demi-clarté qu’ils reflètent, les îles sablonneuses du grand fleuve avec leurs roseaux déjà fleuris.

III

Une morne tranquillité pèse matin et soir sur les mille maisons de cette enceinte montueuse6 ;

Je m’assieds en cent endroits, toujours au milieu de la brume et des nuées.

Chaque nuit ressemble à celle qui l’a précédée ; toujours des pêcheurs dans leur barque, accomplissant toujours le même labeur.

Et voilà les hirondelles qui voltigent par troupes ; elles sont heureuses, elles vont partir.

J’ai su remplir les devoirs de ma charge à l’exemple de Kouang-heng, qui s’acquit pourtant un grand renom7 ;

Mais je ne saurais imiter Lieou-hiang, et travailler comme lui pour la postérité8.

Je songe à mes compagnons d’études et de jeunesse, parvenus en si grand nombre à la fortune et aux honneurs :

Combien d’entre eux ne prirent jamais d’autre peine que de promener sur les cinq collines leur élégance et leurs beaux chevaux9 !

IV

J’entends dire qu’à Tchang-ngan, on semble jouer toujours aux échecs.

Que d’événements depuis un siècle, tristes à ne pouvoir les supporter !

Les palais des princes et des grands sont occupés sans cesse par de nouveaux maîtres ;

Les bonnets et les costumes diffèrent bien de ceux du vieux temps10.

Aux frontières montagneuses du nord, retentissent les gongs et les tambours ;

Sur les routes d’occident, ce ne sont que chevaux et chars de guerre ; il n’est message si pressé qui ne subisse de longs retards 11.

Ici, c’est un silence glacé ; bientôt ce sera la saison rigoureuse où les poissons eux-mêmes se tiennent cachés au plus profond de leurs retraites.

O mon pays ! ô souvenirs des jours paisibles ! quels loisirs pour songer à vous !

V

Je songe d’abord à ce palais de Pong-laï12, dont l’entrée fait face au mont Nan-chan ;

A ce précieux vase qui s’élançait sur sa tige d’or, pour aller, jusqu’au sein des nuages, recueillir la rosée du ciel13.

A l’ouest du palais on apercevait le lac Yao, sur les bords duquel descendit la mère du roi d’Occident14,

A l’orient la porte Han-kouan, où jadis de rouges vapeurs annoncèrent l’approche de Lao-tseu.

Je vois encore s’agiter les éventails en plumes de faisan, pareils à de légers nuages,

Et s’avancer un majestueux visage, et resplendir au soleil les écailles d’or du dragon15.

J’ai quitté tout cela pour un pays désert, et le soir de ma vie est bientôt arrivé ;

Qu’il est loin déjà le temps où je réglais l’ordre des audiences, assis à la porte d’azur16 !

VI

Depuis les gorges de ces montagnes jusqu’à la source du fleuve Kio17,

Partout s’étend le brouillard, succédant aux derniers beaux jours ;

Il envahit maintenant ce séjour charmant de Hoa-ngo, jadis honoré par un visiteur auguste18 ;

Et ce petit jardin de Hou-young, où de tristes nouvelles des frontières vinrent, pour la première fois, le trouver.

Et ces tentes brodées de perles, et ces colonnes délicatement sculptées, et ces enclos pour les animaux rares19,

Et la jonque au mât d’ivoire, aux voiles de satin à fleurs, qui sur l’eau transparente faisait lever de blancs oiseaux.

O tristesse de retourner la tête vers ce pays de tous les plaisirs20,

Vers ce Tchang-ngan, résidence des souverains depuis l’Antiquité 21 !

VII

Non loin, je vois aussi ce lac des Kouèn-ming, ouvrage de l’époque des Han,

Où flottaient naguère encore les étendards de Vou-ti22 ;

Où la céleste Tisseuse23 passe dans l’oisiveté les nuits les plus claires ;

Tandis que le grand poisson de pierre annonce le vent d’automne en s’agitant avec bruit24.

Ses eaux grossies sont couvertes, en ce moment, comme d’un voile noir par les graines tombées du kou-mi25 ;

Le fruit du nénuphar s’y montre dépouillé de la brillante parure que les froids lui ont enlevée.

Pour moi, séparé de ces lieux chéris, par d’inaccessibles montagnes,

Je suis seul avec mes pensées, à côté d’un fleuve débordé26.

VIII

Oublierais-je encore les sites charmants de Kouân, où se plaisait à résider un empereur célèbre27,

Où les pics bleus du Tchong-nân se réfléchissent dans les eaux du Meï-peï ?

Un riz, d’une saveur exquise, y croissait en telle abondance qu’on faisait la part des oiseaux28 ;

Le Fong-hoang y vieillissait dans les grands arbres, sans jamais songer à les quitter29.

Là, de belles jeunes filles venaient, au printemps, rire et jouer avec nous sur la rive ;

Pour amis j’avais des immortels30 ; nous passions nos journées en promenade sur le lac ; nos soirées en d’autres plaisirs.

Déjà mon heureux pinceau s’était fait remarquer du maître de l’Empire.

Aujourd’hui je n’ai plus que des chants de tristesse, et ma tête, devenue blanche, est courbée par la douleur.

1. Cette pièce fut composée par Thou-fou, dans les dernières années de sa vie. Ayant perdu son protecteur Hien-vou, le gouverneur général du Sse-tchouen, il avait repris la vie errante qu’il menait avant de l’avoir connu, et se trouvait alors aux frontières du Sse-tchouen et du Hou-kouang, dans le département de Koueï-tcheou, sur les bords du Kiang. Les Vou-chan sont de hautes montagnes, entre lesquelles le grand fleuve a creusé son lit.

2. Littéralement : des hauteurs isolées de Pé-ti-tching, du Koueï-tcheou. Pé-ti-tching était une forteresse construite sur le mont Pé-ti, à l’est et aux portes de la ville de Koueï-tcheou-fou, qu’elle dominait.

Les villes chinoises n’ont point d’appellation qui leur soit propre. Leur nom indique simplement le rang qu’elles occupent dans l’organisation politique et administrative de l’Empire ; comme si, chez nous, les villes de Nantes et de Rennes, par exemple, s’appelaient uniquement, l’une : la capitale de la Bretagne, l’autre : le chef-lieu du département de l’Ille-et-Vilaine (en remarquant toutefois que le monosyllabisme des mots chinois permet toujours de compléter cette appellation au moyen de trois syllabes). Koueï-tcheou est donc le nom du département, et Koueï-tcheou-fou celui de son chef-lieu. C’est là que s’était fixé momentanément Thou-fou, et c’est du haut de la forteresse du mont Pé-ti qu’il promenait au loin ses regards.

3. Mot à mot : tourné vers le Boisseau du Nord (Pé-téou). C’est la constellation de la Grande-Ourse, que les Chinois désignent ainsi.

4. Ce vers renferme une allusion mythologique qui, pour être entendue, exigerait un commentaire beaucoup plus long qu’intéressant. Je me suis attaché à traduire directement la pensée.

5. Le texte porte le mot kia, que le dictionnaire du père Basile de Glemona traduit par fistula ex calamorum foliis confecta, et que le commentateur chinois explique ainsi : « C’était un usage des hommes de cette frontière de mettre dans leur bouche des feuilles pliées d’une certaine façon, au moyen desquelles ils poussaient des sifflements très forts et très aigus. Les soldats indigènes s’en servaient, pour se transmettre des ordres ou des avertissements. »

6. Pour la Chine, une ville de mille maisons, c’est-à-dire de mille feux, est une ville des moins peuplées. Aussi Thou-fou se sert-il de cette expression pour dire combien le chef-lieu du Koueï-tcheou, sur lequel planent ses regards, lui paraît morne et désert.

7. Kouang-heng était un mandarin qui fit à l’empereur Han-vou-ti des représentations hardies, et qui n’en fut que plus en faveur. Thou-fou, au contraire, s’était vu disgracié pour avoir exercé avec trop de liberté la charge de censeur dont il était investi.

Cette institution des censeurs impériaux est assurément l’un des rouages les plus curieux du gouvernement chinois. Voici ce qu’en ont dit les Pères jésuites qui résidèrent longtemps à Pé-king.

« L’empereur de la Chine, écrivait le père Cibot, est peut-être le seul prince de l’univers qui ait des censeurs publics et d’office. On s’en est si bien trouvé depuis plus de 3000 ans, qu’au lieu de sept qu’il y en avait d’abord, on les a augmentés jusqu’à quarante, pour en proportionner le nombre à la grandeur de l’Empire et à la multitude des choses sur lesquelles ils doivent veiller.

« Leur ministère regarde la personne de l’empereur ; elle embrasse également sa vie domestique et sa vie publique, et tout ce qui intéresse les lois, et le bien public est de leur ressort. C’est à eux à corriger l’empereur de ses défauts, en lui faisant connaître ses fautes ; à aiguillonner ses vertus en lui montrant le bien qu’il doit faire ; à suppléer au défaut de ses connaissances, en lui proposant tout ce qui serait véritablement utile et avantageux à l’Empire ; à empêcher qu’il ne se laisse ou éblouir ou tromper par ses ministres et ses officiers, en lui révélant directement leur incapacité, leurs négligences, leur mauvaise foi ; à défendre à outrance la cause du peuple et des lois contre la cabale et les intrigues.

« Comme un tel emploi demande une grande supériorité de vue, de pénétration, de dextérité, de sagesse et de connaissances, on ne le confie jamais qu’aux premiers lettrés de l’Empire.

« Si l’on a placé si haut le trône de l’empereur, dit un célèbre écrivain chinois, c’est pour qu’il puisse étendre ses regards sur tout l’Empire, et pour le forcer à être vertueux en le donnant en spectacle à tous ses sujets. Malheur à lui, quelque perçants que soient ses regards, s’il avait la présomption de ne croire qu’à ses yeux ; ou si, se fixant aux vaines louanges que la flatterie fait retentir à ses oreilles, il méconnaissait ses fautes ou n’avait pas la force de les réparer. Son trône s’écroulerait bientôt sous lui, et plus il est élevé, plus il serait profondément enseveli sous ses ruines.

« Plus on remonte dans l’histoire chinoise, plus on est frappé de la fermeté et du courage des censeurs de l’Empire. La perte de leurs dignités, la confiscation de leurs biens, les supplices même et la mort n’ont jamais pu intimider leur zèle. On en a vu faire porter leur bière à la porte du palais, bien persuadés que leurs représentations leur coûteraient la vie ; d’autres, déchirés de plaies, écrivaient avec leur sang ce qu’ils n’avaient plus la force de dire. L’intrépidité des uns, l’éloquence des autres, l’adresse et l’habileté de plusieurs ont souvent sauvé l’Empire. Les plus grands empereurs de la Chine ont avoué qu’ils devaient leur sagesse et leur gloire à leurs censeurs. »

Tsuen-tsoung était de ce nombre ; toutefois il avait la coutume de faire parfumer le papier sur lequel on lui transmettait des avis, et se lavait les mains avant de les prendre, disant que la vérité avait besoin de quelques préparations pour être accueillie.

On voit du reste que Thou-fou, qui regrettait Tchang-ngan, ne regrettait point la franchise qui l’en avait fait exiler.

8. Lieou-hiang est un lettré célèbre, qui, voyant ses services méconnus, s’adonna tout entier à l’étude et a laissé sur les cinq King, ou livres sacrés des Chinois, des commentaires très estimés.

9. Ces collines, situées aux portes de Tchang-ngan, renfermaient les tombeaux des empereurs, dont la garde était confiée à des jeunes gens tirés des premières familles. Elles étaient devenues, pour les oisifs et les élégants de la capitale, un lieu de promenade et de rendez-vous.

10. Lorsqu’une dynastie nouvelle surgit dans l’Empire chinois, il est de règle qu’elle apporte quelques modifications aux costumes officiels, dont la forme est rigoureusement déterminée pour tout le temps que la nouvelle dynastie pourra durer. Cependant aucune révolution de ce genre n’avait eu lieu en Chine, où Taï-tsoung, qui régnait alors, avait succédé à ses aïeux. Aussi les changements dont parle Thou-fou doivent-ils s’entendre surtout dans un sens moral, s’appliquant aux personnes bien plus qu’aux habits. « Il faisait allusion à la faveur croissante des eunuques qui occupaient les plus hauts emplois et qui étaient ses ennemis personnels comme ceux de Li-taï-pé », dit un commentaire chinois.

11. Littéralement : Les dépêches garnies de plumes elles-mêmes, tardent longtemps à parvenir. Dès cette époque il existait un service régulier de courriers impériaux. Lorsqu’une dépêche officielle était pressée, une plume, fixée sur l’enveloppe, la signalait comme telle sur toute la route à parcourir. Il fallait de bien terribles obstacles pour que de pareils messages fussent retardés.

12. C’était un des sept palais de Tchang-ngan, appelé d’abord le palais de Yong-ngan (de la tranquillité durable). Il ne faudrait pas le confondre avec l’île Pong-laï, où la mythologie tao-sse place le séjour des immortels, et dont plus tard il avait reçu le nom, comme un palais a reçu, chez nous, celui d’Elysée.

13. L’empereur Vou-ti, l’un des souverains de la Chine sur lesquels il existe le plus de légendes, fut aussi l’un de ceux que tourmenta davantage le désir d’entrer en communication avec les êtres surnaturels et de trouver le breuvage d’immortalité. Il avait fait construire une colonne appelée Tong-tien-taï (la colonne pour pénétrer au ciel), au sommet de laquelle une statue d’immortel supportait elle-même une coupe d’or. Cette coupe était destinée à recueillir de la rosée, qui devait, avec certaines pierres précieuses pulvérisées, composer le breuvage merveilleux. La colonne, en bronze doré, était très fine et très élancée. C’est pourquoi le poète se sert du mot « tige » (heng) pour la désigner.

14. La mère du roi d’Occident, Si-ouang-mou, est une figure semi-historique, semi-fabuleuse, dont l’origine remonte au règne de Mou-ouang, de la grande dynastie des Tcheou, lequel vécut au commencement du XIe siècle avant notre ère. La chronique rapporte que ce prince, ayant fait un grand voyage vers les contrées occidentales, y vit la mère du roi d’Occident à laquelle il offrit un festin sur les bords du lac Yao, et la traduction mentionne plusieurs points de son itinéraire dont l’identification a vivement préoccupé les historiens et les géographes, car si l’on pouvait déterminer leur synonymie, on déterminerait par cela même les régions visitées par l’empereur de la Chine, régions désignées trop vaguement par le mot d’Occident.

Je renvoie les personnes qu’intéresserait ce sujet à la page 97 de la description historique et géographique de la Chine, par M. Pauthier, qui a savamment étudié la question. Je placerai seulement ici deux remarques, ressortant des commentaires chinois, et qui ont un rapport direct avec la pièce de Thou-fou. C’est que, d’une part, Si-ouang-mou avait été mise au rang des immortels par la fable, et que, d’une autre, le lac Yao dont il s’agit ici n’était nullement le véritable lac Yao, visité jadis par Mou-ouang, mais un étang des environs de Tchang-ngan auquel on avait donné ce nom en mémoire de la tradition antique, et aussi parce qu’une nouvelle légende voulait que Vou-ti, des Han, y eût, à son tour, reçu la visite de Si-ouang-mou. Il fallait, en effet, que le lac dont parle Thou-fou ne fût pas bien loin de Tchang-ngan, pour qu’on pût l’apercevoir de la tour Tong-taï, et le commentaire d’ailleurs ajoute ceci : « Le trait auquel il est fait allusion se rapporte à l’empereur Vou-ti. Il était dans sa résidence de Tching-hoa (près de Tchang-ngan), un septième jour du septième mois, quand il vit venir un grand oiseau jaune du côté de l’Occident. L’oiseau s’arrêta sur les bords du lac Yao et Si-ouang-mou descendit. » C’est toujours sur un oiseau jaune que voyagent les immortels de la mythologie chinoise.

15. Les éventails en plume de faisan sont ceux que l’on agite aux côtés de l’empereur. Les écailles d’or du dragon désignent les écailles de sa cuirasse.

16. Littéralement : la porte où sont incrustées des pierres de couleur d’azur. C’était une des portes du palais impérial, celle par laquelle on entrait pour être admis à voir l’empereur. Thou-fou reporte ici ses souvenirs à la première période de sa vie, au temps où régnait encore l’empereur Ming-hoang-ti. Il occupait alors, à la Cour, des fonctions consistant principalement à inscrire les noms des personnes qui devaient se présenter aux audiences, et à régler ensuite leur ordre d’admission suivant leurs charges ou leur rang.

17. Fleuve qui coule près de Tchang-ngan.

18. C’était une résidence des frères de l’empereur Ming-hoang-ti. L’empereur s’y rendait souvent, en suivant un chemin couvert qui la mettait en communication avec son propre palais.

19. Le texte parle de grands oiseaux jaunes ; leur nom serait difficile à préciser. Dès l’Antiquité, les souverains de la Chine firent grand cas des animaux curieux venus des pays lointains. Les parcs des résidences impériales contenaient toujours des enclos et des volières qui leur étaient destinés. Les princes tributaires et les ambassadeurs étrangers en offraient souvent, sachant que ce genre de présent était fort apprécié.

20. Le texte dit littéralement : ce pays de la danse et du chant ; mais pour les Chinois ces mots ont une acception très étendue, la danse et le chant entraînant constamment chez eux tout un cortège d’autres plaisirs.

21. Tchang-ngan était la capitale de l’Empire depuis le temps des Tcheou, c’est-à-dire depuis le XIIe siècle avant notre ère.

On ne lira peut-être pas sans quelque plaisir le tableau que traçait de cette antique capitale de la Chine le père Martini qui l’avait visitée au commencement du XVIIe siècle.

« Si-ngan (c’est le nom moderne de Tchang-ngan) , aujourd’hui capitale du Chen-si, le cède à fort peu d’autres, si on regarde à sa situation dans un pays fort beau et récréatif, à sa grandeur, à son antiquité, à la beauté de son aspect, à la force et à la fermeté de ses murailles qui ont trois milles d’Allemagne de tour, et qui sont si magnifiques que ceux qui y demeurent disent bien que leur ville a des murailles d’or. Il y a sur ces murailles des tours qui paraissent de fort loin, et sont fort artistement basties.

« Vous pouvez juger de son antiquité, de ce que les trois familles impériales des Tcheou, des Thsin et des Han y ont régné ; c’est pourquoi cette ville est toute pleine de bastiments très-magnifiques, au dedans et au dehors : son aspect, qui est si divertissant, en augmente merveilleusement la beauté ; car encore qu’elle soit située au Midy sur le bord de la rivière Hoey, si va-t-elle pourtant un peu en remontant, de façon que les bastiments semblent en quelque façon s’eslever avec les murailles, et représenter un amphithéâtre par une veuë si agréable. La ville a trois ponts sur la rivière de Hoey ; l’un est à l’Orient, l’autre au Midy et le troisième au Couchant : tous les trois ont quantité d’arcades fort hautes de pierres de taille carrées : il y a aussi des accoudoirs, des poutres de fer, des statues de lions et d’autres ornements pour embellir cet ouvrage. Il y a aussi la tour d’Yen, qu’on appelle à neuf ceintures à cause qu’elle a neuf étages : elle surpasse les autres tours en hauteur et magnificence. Elle est toute de pierre et au dedans revestuë de marbre.

« Au couchant il y a une closture d’eau, ou vaste vivier renfermé partout de murailles ; il a trente stades de circuit et surprenant une partie de la montagne de Loung-heou se va rendre dans la rivière de Hoey, dont on conduit et perce des canaux, des lacs et des estangs, afin d’y dresser des théâtres flottants pour y représenter des combats navaux par divertissement et récréation ; on compte sept superbes palais autour de ce vivier, et dix-sept salles ou théâtres voûtés, pour récréer diversement l’esprit et le délasser. Il y en a sept qui surpassent les autres en grandeur et en beauté. On y voit aussi des sépulchres fort magnifiques des anciens Roys et plusieurs temples entre lesquels il y en a onze qui sont remarquables pour leur richesse et leur grandeur. Mais parmi une si grande quantité de temples profanes, il ne laisse pas d’y avoir dans cette ville un Saint Lieu et une Eglise que les Pères de la Société de Jésus ont consacrée à Dieu, et que les Chinois et les Tartares convertis au christianisme par ceux de notre Compagnie visitent beaucoup. »

22. On lit dans les Annales de la dynastie des Han que l’empereur Vou-ti, ayant envoyé une expédition chargée de découvrir la route des Indes (Chin-tou), cette expédition, après avoir traversé le Sse-tchouen, entra dans le pays qui forme aujourd’hui le Yûn-nan, suivant très probablement la direction des vallées en remontant le cours du grand Kiang. Elle arriva ainsi vis-à-vis d’un lac très grand et très profond, bordé de montagnes escarpées, et se mit en devoir de construire des radeaux pour le traverser ; mais les peuples de ces régions, appelés Kouèn-ming, assaillirent les Chinois avec des barques nombreuses, et leur ayant tué beaucoup de monde, les obligèrent à se retirer.

Dès qu’il apprit cet événement, par le retour inopiné de son expédition désorganisée, Vou-ti fit creuser auprès de Tchang-ngan un lac sur lequel, durant plusieurs années, il exerça ses troupes à conduire des radeaux et à prendre des jonques à l’abordage. Puis il envoya contre les Kouèn-ming une armée qui les ayant défaits dans un grand combat sur l’eau, réduisit ensuite tout le Yûn-nan en province chinoise.

En mémoire de cette vengeance éclatante, Vou-ti appela du nom des peuples vaincus le lac où il avait préparé sa victoire. Il était situé au sud-ouest de la capitale de l’Empire, alimenté par la rivière Kio, et entouré d’une terrasse, soigneusement construite, qui avait environ deux lieues de circuit. Ce lac devint une sorte de théâtre nautique où l’on représenta des joutes navales et des combats simulés.

Quant au véritable lac des Kouèn-ming, que cette chronique rend doublement intéressant à connaître, au point de vue de l’histoire et de la géographie, je dois à l’obligeance de M. Stanislas Julien et aux ressources inépuisables dont il dispose d’avoir pu déterminer sa situation. C’est le lac appelé aujourd’hui par les Chinois Thien-tchi (le lac vaste), sur les bords duquel est bâtie la ville de Yûn-nan, capitale de la province de ce nom. Il donne naissance à un cours d’eau considérable que les envoyés de Vou-ti ont pu prendre pour la source du grand Kiang, bien qu’il n’en soit que l’un des principaux affluents. Les cartes chinoises recueillies par le père Martini le représentaient ainsi.

23. Tisserand n’ayant point de féminin en français, je suis forcé de faire un néologisme pour rendre l’expression Tchiu-niu, la femme qui fait le métier de tisserand, nom que les Chinois donnent à la constellation la Lyre. Cette constellation joue un rôle important dans plusieurs légendes. Une statue lui était consacrée sur les bords du lac Kouèn-ming ; elle était représentée la navette à la main.

24. C’était une figure de poisson gigantesque, dont les nageoires et la queue étaient mobiles et faites de pierres sonores. Vou-ti l’avait placée au milieu du lac, comme un écueil destiné à exercer l’adresse des marins. On prétendait aussi que ce poisson annonçait par de grands cris l’approche de la pluie, ce qui tenait sans doute à quelque jeu d’acoustique, ménagé de manière à ne fonctionner que sous l’influence de certains vents.

25. Sorte de plante aquatique.

26. Les commentateurs chinois ne sont point d’accord sur le sens précis de ces deux derniers vers, dont la concision va jusqu’à l’obscurité. Forcé de renoncer à la version littérale, j’ai choisi celle des paraphrases qui m’a paru la plus rationnelle. Je n’oserais toutefois la garantir.

27. Il s’agit encore ici du fameux empereur Vou-ti, qui s’était fait bâtir une maison de plaisance sur les bords pittoresques du lac Meï-peï. Voir, pour le lac Meï-peï, la note 1, page 186.

28. Littéralement : qu’on en laissait pour les perroquets.

29. Oiseau fabuleux réputé de bon augure, que plusieurs dictionnaires ont cru pouvoir assimiler au Phénix.

30. Par cette expression, dit un commentaire, Thou-fou désignait plusieurs poètes et littérateurs, ses compagnons de plaisir.

POÉSIES DE L'ÉPOQUE DES THANG traduites du chinois et présentées par le Marquis d'HERVEY-SAINT-DENYS
I. 1. Introduction ; 2. Antiquité ; 3. Pré Thang ; 4. Thang ; II. 1. Langue ; 2. Prosodie ; 3. Stylistique ; 4. Conclusion
Poésies de Li-taï-pé, Thou-fou, d'auteurs connus, d'auteurs moins connus.
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